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Jeu 17 Juin 2021 - 15:29
Bien sûr que c'est une idée stupide et Alix le sait déjà au moment où il pousse la porte du discaire qu'il a bien sûr repéré il y a de ça des années, lorsqu'il y a retrouvé la trace de celle qu'il vient voir aujourd'hui. Pourquoi maintenant ? Peut-être parce qu'il a désespérément besoin de se rappeler qui il est, ou d'où il vient pour essayer de savoir où il va. Alix a toujours beaucoup aimé les dictons à la con comme ça et sans doute essaie-t-il de donner un sens à celui-là ; ou peut-être qu'il a juste très envie de s'acheter un album d'un artiste qu'il ne connaît pas histoire d'apporter un peu de nouveauté dans sa vie tristement pleine de pas grand chose depuis de trop longs mois.

C'est assez drôle à observer, même pour lui, la façon dont ses pensées partent dans tous les sens lorsqu'il croise le regard chocolat de celle qu'il reconnaît aussitôt et de laquelle il se détourne instantanément en marmonnant un bonjour un peu rauque et débordant de malaise, avant de s'enfuir dans les rayons avec autant de conviction que si une armée de dragons en avait après ses fesses. Son inconscient essaie sans doute de le protéger ainsi de la véritable terreur qui le gagne lorsqu'il imagine pour la quatre cent vingt septième fois ce qu'il lui dira lorsqu'il la verra, à cette petite sœur aussi adorée que crainte maintenant qu'il a l'image de son visage imprimée sur ses rétines bien plus sûrement que les albums qu'il parcourt des yeux sans les voir. Ça ne va pas bien se passer, se dit-il en saisissant au hasard un cd par lequel il fait semblant d'être fasciné, profitant d'avoir le nez baissé pour fermer les paupières, inspirer à fond, discrètement. Ça ne va pas bien se passer.

Il ferait mieux de s'en aller. Pour un jeudi après-midi où la fin du printemps étreint la Nouvelle Orléans dans un étau de chaleur quasiment suffocante, il y a mille et une choses qu'il aurait pu décider de faire plutôt que de retrouver la petite sœur qu'il a abandonnée il y a quinze ans afin de chercher un foyer et une famille qu'il n'a de toute façon jamais trouvés. Aller à la piscine, par exemple. Ou à la mer. Voilà, il ira nager une fois qu'Odalie lui aura fait regretter son élan de courage aussi inhabituel que stupide.
Et pourtant s'il est là, c'est bien qu'il y a quelque chose. Une petite étincelle, une petite miette d'un petit quelque chose qui ressemble à de l'espoir. Celui d'enfin la retrouver, celle qu'il aurait voulu emmener avec lui dans son périple vers un ailleurs où il aurait pu se sentir à sa place ; peut-être de la voir sourire, de l'entendre le pardonner. Une petite miette d'un petit quelque chose, heureusement que ce n'est pas plus que ça, songe le triton en reposant l'album à sa place. Dans le cas contraire, ce qui va bientôt se passer aurait été excessivement douloureux.

Dans toute autre situation, Alix se serait amusé de s'entendre formuler intérieurement euphémisme sur euphémisme pour empêcher son appréhension de dévorer la moitié de ses pensée et, par extension, de son bon sens ; aujourd'hui pourtant, il s'agace plutôt d'être trop conscient de ce mécanisme de défense pour que celui-ci s'avère efficace. Et le pire, c'est qu'il savait que ça se passerait comme ça, tout comme il a déjà une très bonne idée de la façon dont il va être reçu une fois qu'il se sera dévoilé, si tant est qu'Odalie ne l'ait pas déjà reconnu. Alors pourquoi est-il là, au fond, sincèrement ? C'est pas si compliqué, quand on y pense. Elle lui manque. Elle lui manque, et il se sent beaucoup trop seul depuis des mois pour ignorer plus longtemps la possibilité de retrouver quelqu'un auprès de qui il aurait toujours dû rester.
Et ça ne lui va pas, bien sûr, d'être à sa vie ce que serait un clandestin bien caché au fond de la cale d'un bateau ; ça ne lui va pas de se trouver à la fois si loin d'elle et si conscient de ce qu'elle traverse sans avoir ni le droit de lui tendre la main, ni de réclamer la sienne lorsqu'il se sent sur le point de flancher. Ce jour-là, quand il a voulu aller la voir à l'hôpital, il l'aurait déjà retrouvée - et peut-être reperdue, mais passons - s'il avait moins hésité, s'il l'avait rejointe avant qu'elle ne prenne ce fichu portail. Aujourd'hui, il hésite encore. C'est comme un pansement, Alix, juste un putain de pansement, se dit-il en faisant sauter ses doigts d'un album à l'autre pour en observer la couverture. Pourquoi diable est-ce qu'il ne parvient à utiliser l'auto persuasion de façon efficace que lorsque ça va finir par le desservir, hein ?

Et puis voilà, entre un nom qu'il ne regarde pas et une image dont il se fiche, il tombe sur cette pochette en bleu et vert avec le profil de ce type en blanc, comme une éclaboussure de peinture sur un pochoir. C'est à croire que le destin se fout de sa gueule, hein ? Ou alors c'est un signe, ou une narratrice vraiment très rigolote, dans tous les cas ce bon Alix mange une claque bien assez violente pour arrêter une seconde de regarder sa terreur en face, attraper l'album, et se tourner résolument - non - vers la caisse dont il s'approche trop vite pour avoir le temps de faire demi-tour. Et elle est là, bien sûr, levant vers lui deux yeux presque méfiants qui le font hésiter soudain, quasiment tituber sur le dernier pas qui l'éloignait encore de cette fichue caisse enregistreuse. Quand il est parti, Alix a laissé une enfant derrière-lui. Aujourd'hui, Odalie est une femme. Aussi belle qu'il l'imaginait, débordant d'une assurance à la fois solaire et glaciale ; ça le frappe un peu, comme elle ressemble à Anjela dans son attitude, sa façon de se tenir, les éclairs qui s'invitent dans ses yeux clairs.
Lui, en face, il ne sait pas quoi faire, et c'est d'une main un peu vibrante d'appréhension qu'il vient poser le single de Pep's sur le petit comptoir. « Salut, Lilie, dit-il en contrôlant tant bien que mal les tremolos de sa voix grave. Ça fait... ça fait un paquet de temps. »
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Sam 19 Juin 2021 - 22:17
Ton chemin, mon chemin, le chemin.
Odalie x Alix

À l'instant où il franchit la porte du disquaire, Odalie sut qu'elle l'attendait. Ce genre de rendez-vous secret que la vie vous a réservé pour quand vous n'y penserez plus. Eh bien voilà. C'était là. C'était maintenant. C'était lui ; des années passées sans le voir et pourtant dans un battement d'être elle ne pouvait pas méconnaître.
À l'instant où il franchit la porte du disquaire, Odalie chercha malgré elle le moindre mouvement familier. La moindre miette d'un autrefois qu'ils auraient partagé à deux. La moindre fossette sur sa joue qui aurait pu le lui rappeler. La moindre ride, le moindre éclat qu'elle décèlerait dans ses yeux et qui lui permettrait de dire qu'il était bien le vieil idiot qu'elle s'était perdue à aimer.
Un seul instant de grâce suffit. Un seul instant de glace suffit. Il n'y avait pas de doute possible.
D'ailleurs, il n'y avait plus rien d'autre.

À l'instant où Alix entra, à l'instant où dessus les piles de CD et de vieux vinyles leurs yeux vinrent à se retrouver, la brune sut sans l'ombre d'un doute qu'il ne resterait plus rien d'eux que des cendres semées au vent qu'elle ne voulait pas raviver.
Quand elle était adolescente, combien de fois avait-elle rêvé que son frère revenait à elle ? Combien de fois imaginé sa grande silhouette dégingandée qui reposait son sac de sport, lui disait qu'il avait fait le tour du monde pour revenir toujours auprès d'elle et qu'il ne la quitterait plus ? Combien de pressions magnanimes sur la touche play du baladeur qu'il avait laissé en otage ? Jusqu'à ce que la petite flèche disparaisse à l'usure fragile sous la pulpe rude de ses doigts, jusqu'à ce que l'appareil casse et qu'elle le range dans un tiroir, avec le reste des espoirs qu'elle avait nourris pour son frère. Combien de fois ces mêmes morceaux, en boucle, comme un lien d'elle à lui, le dernier pont franchi entre eux ? Combien de réveils en sursauts à la porte claquant en bas, certaine qu'il revenait enfin ... Pardon Lilie, j'ai merdé, pardon, je reste ; et elle aurait pardonné. Elle aurait pleuré et ri dans le même temps, se serait pendue à son cou et aurait juré pour elle-même d'être moins ingrate avec son frère. Peut-être même se serait-elle excusée. Pardon Alix, j'ai merdé, pardon, reste je t'en prie.
Mais non.
Jamais de porte qui claquait. Jamais de frère qui revenait. Seulement le plafond gris et sale. Seulement ce lecteur mp3 ayant craché ses dernières notes, incapable de contenir dans l'esprit de l'adolescente les doux abandons de l'oubli.
Elle avait été dévastée, elle avait été en colère, elle était passée par tous les états de la terre avant que sur ses sensations ne vienne souffler l’indifférence des moments qu’elle avait chéris et qui ne signifiaient plus rien.

Oui, elle l'avait oublié. Elle avait voulu l'oublier, parce que ça semblait plus facile. Elle l'avait oublié, quelque part, rangé avec d'autres souvenirs, parce que c'était moins douloureux que de se rappeler chaque jour qu'elle n'avait pas été assez, pas été assez pour qu'il reste, pas été assez pour eux deux.
Elle avait oublié son frère, elle avait voulu l'oublier. Pourtant un regard dérobé, une minuscule seconde ignoble, et tout au monde lui rappelait. Comme un rendez-vous du destin qui surgissait à l'improviste, qui se moquerait bien encore de ce qu'elle pouvait ressentir.
Juchée sur son haut tabouret, comptoir devant elle comme pavois, elle planta la flèche de ses yeux dans le visage de l’étranger qui aurait pu être son frère s’il s’en était donné la peine.
Les années passant, Odalie avait dû se faire une raison. S'il ne revenait pas pour elle, c'est qu'il était plus heureux sans. C'est qu'il avait trouvé autre chose, une famille pour la remplacer. Oublier était la seule solution, alors. Oublier qu'il l'avait blessé, oublier sa propre blessure, poser sur sa colère immense la tendre caresse du "jamais". Alors, quoi ? Qu'est-ce qu'il restait à lui dire, à ce grand nigaud qui posait sur le bois tendre du disquaire un vieux CD de pop française ?
« Ça vous fera douze dollars quatre-vingt-dix, monsieur. »
Et ça semblait un prix honnête pour toutes ces années à attendre, pour ces soirées à l'oublier et ce temps à construire une vie où elle se protégerait de ça. Des dollars dûs à la jeune fille qui aurait eu besoin d’un frère et n'avait eu qu'un vieux Walkman.
Douze dollars quatre-vingt-dix, monsieur, et vous allez repartir d’ici, cesser de m’appeler Lilie et retourner avec les autres milliers de souvenirs sans passion.

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Ven 9 Juil 2021 - 0:42
Si Alix reste planté là, immobile et silencieux, pendant une demie éternité, ce n'est pas vraiment à cause de la stupéfaction. Non, on ne peut même pas vraiment dire qu'il soit surpris. Il a fait trop de scénarios catastrophes de ce que pourrait donner cette rencontre pour s'étonner de voir l'un d'entre eux se réaliser.
S'il reste immobile c'est parce que dans chacun de ces scénarios catastrophes, ses mécanismes de défense faisaient bien leur boulot et l'empêchaient de se torturer plus encore en imaginant la suite. Du coup, il ne sait pas vraiment ce qu'il doit faire, maintenant qu'elle a prétendu ne pas le reconnaître. « D'accord, bon, articule-t-il d'une voix blanche, les traits défaits par une déception qu'il n'est pas vraiment capable de cacher. »
Le triton ne sait même pas ce qu'il ressent, c'est le grand vide maintenant ; il est déçu, bien sûr, mais il n'a pas réussi à envisager assez sérieusement qu'elle lui sauterait au cou pour tomber vraiment de haut. Après tout, si elle avait voulu le revoir elle l'aurait cherché, mais elle ne l'a jamais fait, de quelque manière que ce soit. Pouvoir accéder aux historiques des recherches internet de quelqu'un n'a pas que du bon quand on n'y trouve pas ce qu'on espère. Au final ce qui se passe aujourd'hui ressemble presque à une métaphore de ce qui se passe depuis quinze ans. Et soudain, ça le met en colère.

Ça le met en colère parce qu'il pensait que tous les deux, ils valaient mieux que ça, qu'ils s'aimaient plus que ça. Assez en tout cas pour avoir au moins le courage de faire un pas l'un vers l'autre, de tendre une main ou d'en saisir une, de se regarder en face pour se reconnaître et voir avec leurs yeux d'adultes ce que les enfants qu'ils étaient n'ont pas pu comprendre, et apprendre peut-être à se re connaître. Mais ça c'est sûrement encore sa grande tête d'abruti trop naïf qui l'a imaginé toute seule. « T'es sûre de ce que tu fais ? demande-t-il, la main crispée sur le petit comptoir, sans la lâcher des yeux. Tu vas me faire payer ce CD et j'vais me casser comme... n'importe quel connard qui fout un pied ici ? »
Ça fait quinze ans bordel, quinze ans et elle n'a vraiment rien à lui dire, rien du tout ? Merde, il aurait préféré qu'elle le gifle. Qu'elle lui hurle dessus comme le jour de son départ. T'es plus mon frère. Apparemment il a eu tort de croire que sa petite sœur devenue adulte remettrait en question les mots qu'elle a eus quand elle avait douze ans.
Alix sait que la colère ne l'aidera pas, mais il a beaucoup de mal à la gérer, un peu comme il a du mal à gérer absolument tout en ce moment. Il est fatigué. Vraiment, il est fatigué de devoir se battre pour avoir le droit d'avoir une seule putain de place dans la vie d'une seule putain de personne qu'il aime. En ce sens-là, même sa petite sœur n'est soudain plus qu'un autre nom sur la liste disproportionnée de ses regrets. Et ça le rend malade.
Pour toutes les raisons du monde ça le rend malade, rien ne va dans cette phrase. Parce que sa petite sœur aurait dû être tout sauf ça, parce qu'il ne voulait pas que ça se passe comme ça, parce que c'est précisément ce qu'il voulait éviter en venant la retrouver enfin, et précisément ce qu'elle lui interdit tout simplement d'essayer. Il sort de sa poche un billet de vingt dollars qu'il pose devant elle, la gorge serrée, le cœur trop lourd pour faire comme si de rien n'était. « T'as vraiment rien à me dire ? Rien du tout ? »
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Jeu 22 Juil 2021 - 10:25
Ton chemin, mon chemin, le chemin.
Odalie x Alix


Elle aurait voulu être en colère. Naïvement la pensée lui vint qu'haïr ce frère trop tard trouvé aurait soulagé bien des maux. Elle aurait voulu être en colère, Odalie, et à voir le visage déçu de celui qu'elle n'espérait plus, il aurait sans doute mieux valu.
Mais on ne change pas ce qu'on a au fond. Et derrière le désir de flammes qu'elle allumait dans les regards, la sirène n'était rien de plus qu'une fillette grandie bien trop vite. Trop empathe encore dans ce monde où personne ne l'était pour elle. Avec les années, magnanime, elle avait peint mille coloris sur le masque noir de sa peine. Muré la douleur abrasive que le monde lui infligeait derrière des vêtements peu couvrants qui dévoilaient pour mieux cacher. Sur la scène d'elle même, orpheline, elle jouait toujours les mêmes traits. Désinvolte, décolorée, un écran blanc de noirs désirs.
Elle aurait voulu être en colère et sans doute l'était elle au fond, dans ce coffre fort interdit dont elle avait perdu la clé.
En vérité, Odalie ne pouvait même plus lui manifester sa colère. Dire qu'elle aurait été fâchée, c'était admettre qu'il la touchait, qu'il avait encore un pouvoir alors sur ce qu'elle ressentait. Et elle n'en avait pas la force. Elle devait lui dissimuler tout l'amour qu'il avait fait naître derrière autant d'indifférence ; pour elle, pour lui, seule solution. Elle devait lui dissimuler les litres qu'elle avait pleuré, les traînées salées sur ses joues, les cris lancés vers le soleil avec cet espoir qu'il revienne, ces années à devenir une femme sans pouvoir jamais en parler. Car si elle ne lui cachait pas elle redevenait la fillette qui avait crié sur ce toit, et qu'elle était bien plus que ça.
« Je vais vous demander de rester poli, monsieur. Si vous n'êtes pas venu pour acheter un CD, je ne vois pas bien pour quoi d'autre. »
Elle parlait la gorge serrée, le ton plus fier que malheureux alors que tout en elle pleurait. Quinze ans, Alix. T'as mis trop de temps à revenir. T'as mis trop de temps à tenter. J'ai claquemuré ton prénom dans une pièce secrète de mon coeur que je n'ai plus envie d'ouvrir. Quinze ans, c'est plus de la moitié de ma vie, Alix, tu crois que tu peux changer ça ? T'es plus qu'un étranger pour moi, tu seras plus jamais mon frère. T'as pas eu l'envie de rester, je te laisserai pas revenir. Pas pour que tu repartes encore en détruisant tout ce qu'on avait. Pas une deuxième fois, pas encore.
Les murs tremblants à s'effondrer, la tendresse lui brisant les côtes, elle regarda le billet sale que l'autre posa sur le comptoir.

Ça devait pas se passer comme ça. Il aurait dû revenir plus tôt, quand elle pouvait encore aimer, quand chaque pure parcelle d'émotion n'était pas encore enfermée.
La brune voyait bien à ses doigts, crispés sur le bois du comptoir, qu'Alix était très en colère. Cruellement, elle s'en ravit. Il n'avait plus de prise sur elle, elle en avait encore sur lui, c'était ce qui comptait alors. Dans cette situation pourrie elle n'était pas la plus à plaindre. Parce qu'elle refusait de souffrir alors qu'Alix rageait encore.
Non, elle n'avait rien d'autre à lui dire. Et pourtant elle lui répondit.
« Si. »
Mesurant le violent silence qui se logea tranquillement dans l'habitacle entre leurs vides, elle pesa chacun des lourds mots qu'elle s'apprêtait à proférer.
D'une main gracile quoique tremblante, elle ouvrit un petit tiroir qui se trouvait dessous sa caisse. Quelques babioles, des porte bonheurs, des élastiques et des vieilles gommes. Et tout au fond, ce qu'elle cherchait, ce truc qu'elle avait tant chéri à défaut de chérir son frère.
Elle pensait qu'ils valaient mieux que ça, qu'ils s'aimaient mieux que ça. Elle avait eu tort et ce truc prouvait combien dans sa jeunesse elle était aveugle des mots. Posant l'objet sur le comptoir, elle baissa les yeux vers sa main. Sa main si proche de celle d'Alix. Une main posée sur un CD et l'autre sur un mp3.
« C'est cassé » énonça-t-elle d'une voix simple.
Sans préciser une seule seconde si elle parlait de l'appareil, de son être ou de leur passé.

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Mer 4 Aoû 2021 - 15:45
Si. La réponse, simple et glaciale comme les abysses dans lesquelles s'est apparemment réfugié le coeur de sa petite soeur, arrache un frisson d'appréhension au triton. Il aurait pu se réjouir d'entendre que quinze ans de silence sont enfin sur le point de s'achever, mais il craint trop ce qu'elle est sur le point de lui dire pour ne pas tendre le dos comme si un brutal coup de bâton était sur le point de s'y abattre.
Le constat est aussitôt fait, implacable : de confiance il ne peut plus y avoir entre ces deux-là. Pas alors qu'elle le toise comme elle se méfierait d'un étranger, et pas alors qu'il la craint comme il a peur du reste du monde, comme si jamais ils n'avaient formé, ensemble, l'exception dans leur rapport de l'un aux autres, et comme s'ils étaient maintenant semblables à ceux qui gravitaient autrefois autour de leur complicité sans jamais pouvoir les atteindre. Quelque part, sans doute l'a-t-il creusé autant qu'elle, ce gouffre qui les sépare. La différence, à ses yeux subjectifs, c'est que s'il accepte d'être coupable de l'avoir perdue, il ne le sera pas de ne pas essayer de la retrouver. Alors vas-y, dit-il d'un regard dans un timide élan de courage. Vas-y, dis-moi ce qu'il te reste à dire, et tant pis si ces mots attendent depuis trop longtemps pour être distingués de la rancœur dont ils émergeront. Reculer maintenant par peur de souffrir ne donnerait naissance qu'à plus de douleur encore, et Alix est trop fatigué pour affronter de nouveaux chagrins.

Tout comme il est trop fatigué pour rester en colère lorsque, émergeant d'un tiroir où son souvenir s'est mélangé à tout un tas de bric-à-brac encombrant, le vestige de son dernier cadeau est dévoilé à ses prunelles tremblantes. Tu l'as gardé. Et Alix ne sait pas trop s'il doit se réjouir ou se mettre à pleurer. « C'est cassé »
Oui, à l'évidence. Cassé, plein de poussière, quasiment oublié.

Il se rappelle, tout à coup, du regard assassin d'Anjela lorsqu'il a décrété qu'il emmènerait Odalie avec lui, comme si tout à coup elle se sentait enfin concernée par la situation. Ça t'emmerderait, hein ? a-t-il pensé alors. Ça t'emmerderait que je te l'enlève, que je la sorte de là, que je la sauve de toi. Et pourtant d'eux deux, ce n'est pas la petite sœur qui semble avoir besoin d'être sauvée ; pas plus aujourd'hui qu'à l'époque et il se dit que ça signifie qu'elle s'est finalement perdue autant que lui. Tout comme il ne reste plus grand chose du gamin aux grands idéaux convaincu qu'il finirait par trouver sa place, il ne semble pas reconnaître beaucoup de la petite fille dont la sensibilité exacerbée rendait le sourire si lumineux. Cassé, plein de poussière, quasiment oublié. Un peu comme elle, lui et un peu comme eux. Ton chemin, mon chemin, le chemin. La musique qui joue doucement dans sa tête est d'une tristesse à pleurer. « Ça ne va pas se réparer comme par magie, dit-il tout bas, ému, toute colère envolée. »

Parce qu'il lui en veut, bien sûr, mais que le manque est plus fort que la colère ; parce qu'il craint ce qui pourrait arriver ensuite, évidemment, mais que l'amour devrait toujours être plus fort que la peur. Et qu'il l'aime, inconditionnellement ; elle est sa petite sœur, elle le sera toujours et s'il a conscience de l'avoir déçue et blessée en ne la contredisant pas lorsqu'elle lui a craché qu'il n'était plus son frère, il n'espère aujourd'hui plus rien qu'une deuxième chance. Pour se racheter. Pour réparer.
Lentement, il lâche son billet et retourne sa main sur le comptoir, offrant sa paume ouverte près de celle d'Odalie, les yeux brillants d'une supplique qu'il ne cherche même pas à dissimuler. « On peut essayer, si tu veux. » Laisse-nous essayer, s'il te plaît.
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Mer 4 Aoû 2021 - 19:11
Ton chemin, mon chemin, le chemin.
Odalie x Alix

C’était cassé.
Il y avait eu un point d’impact, un seul. Un moment où toute chose alors aurait encore pu basculer. Un moment. Un craquement sur le pare-brise, moins gros qu’une pièce de deux euros. Il y avait eu un seul moment pour que leurs deux routes se séparent, pour que leurs deux chemins bifurquent, pour que leurs deux vies se dénouent d’avoir trop été emmêlées. Il y avait eu une seule soirée, peut-être même une seule pulsation dans leurs myocardes adolescents. Et ça s’était cassé. Crac. Fêlure, fissure, le verre lisse de la vie d’Oda devenu aussi strié là que l’écume sur la houle bleutée.
C’était cassé et il revenait trop tard, beaucoup trop tard, pour que tout ça soit réparable. S’il était revenu plus tôt, ils auraient pu faire quelque chose, mettre de la résine Carglass, du scotch ou un petit pansement. Ils auraient pu faire quelque chose, tous les deux ; justement parce qu’ils étaient deux.
Mais c’était trop tard. C’était trop tard et c’était cassé, et derrière le sourire affable qu’Odalie tentait d’adopter, il n’y avait plus rien à faire. Il n’y avait plus une seule vague qui la ramenait vers cet homme qui jadis avait été son frère. L’océan de leur relation était devenue une patinoire, et le regard qu’il lui jeta comme un unique coup de piolet ne pouvait rien y arranger. Lorsque son regard se posa sur le mp3 abimé, la colère déserta sa voix et la sirène sentit en lui une émotion envahissante.
Oh non, tu vas pas me faire ça, Alix. Revenir alors qu’il était parti, revenir tellement beaucoup trop tard que ça servait à rien de revenir. Elle était un désert maintenant, et l’écho de leurs souvenirs rebondissait entre les dunes sans jamais rompre la surface. Sans jamais atteindre son cœur, ni même les profondeurs marines où elle l’avait trop bien caché. Non, on ne réparait pas les mp3 par magie. Mais on ne réparait pas les relations non plus ; ou alors, il fallait une sacrée magie, de celle que la brune n’avait pas et ne souhaitait pas maîtriser.
La glace se craquela sous ses côtes lorsqu’Alix ouvrit une main, comme pour y inviter la sienne. La glace se craquela, comme rongée de l’intérieur de sa poitrine par des milliers de bulles-mémoires qui la heurtaient sans l’émouvoir. Alix qui hurlait sur Maman. Alix qui soignait son genou blessé. Alix et elle qui nageaient. Alix et elle qui prenaient une glace, un soir ou Maman n’était pas là. Alix tenant tête à Maxime pour un mot de trop à leur sœur. Alix lui faisant un petit signe à travers le grillage rouillé, de la cour de l’école primaire vers la cour de la maternelle. Alix lui tendant un mouchoir parce qu’elle avait bien trop pleuré. Alix qui posait une main fraîche sur son front brûlant, chassant la fièvre d’un sourire comme une promesse des lendemains.
Il n’y avait pas eu de lendemains. La fêlure s’était présentée, et avec elle les mille souffrances que le manque pouvait receler. Elle avait mis du temps, la brune, à recouvrir le mal de givre, à glacer cette part de sa vie pour que ça cesse de lui faire mal. Alors désormais, que restait-il ? Que restait-il sinon des coques vides, des simulacres de fratrie qui ne savaient plus vraiment être les personnes qu’ils avaient aimées ?
Un instant, restant interdite, elle envisagea de céder, de sortir des armoires à glace les sentiments qui la hantaient. Un instant elle envisagea de leur donner une deuxième chance, une chance où il partirait pas, une chance où il partirait plus. Après tout, il était là, non ?

Les yeux noisette dans ceux, brillants, d’un grand frère qu’elle avait chéri, Odalie sonda l’océan de vague à l’âme dessous sa gorge.
Parce qu’il y avait d’autres souvenirs, qui sortaient si elle leur cédait. D’autres souvenirs, d’autres douleurs qu’elle refusait d’être assez faible pour laisser éclore dans son être. Alix qui claquait la porte. Les rues vides de Saint Raphaël, tandis qu’elle criait son prénom jusqu’à s’en crever le larynx. Maman caressant ses cheveux, durant les trois longues soirées qu’elle avait mis à se calmer, sans pouvoir aller à l’école. Et la première rentrée sans lui, un regard lancé au grillage où elle espérait le trouver. Les concerts où il n’était pas, que Maman avait oubliés, et où tous les autres ados rentraient avec leurs deux parents tandis qu’elle-même n’avait personne. Les soirs où elle rentrait toute seule, la maison plongée dans le noir. Les instants où elle poussait timidement la porte de sa chambre vide, en attendant que quelque chose vienne. Fermant les yeux fort, jusqu’à voir un millier de couleurs, plus pouvoir jouer de violoncelle, mais que son grand frère se souvienne qu’il lui avait fait une promesse.
C’est pour ça, pour tout ça, qu’elle avait choisi de l’enfouir, qu’elle avait voulu l’oublier. Pour tous ces instants assassins où elle se demandait encore pourquoi elle n’avait pas été assez pour qu’Alix reste là. Tous ces moments de pure tristesse où elle cherchait, dans des lieux gris, la présence du seul être au monde qu’elle aurait bien voulu garder.
Alors non. Odalie ferma de nouveau la porte, rajouta une couche de pierre par-dessus la glace indolente des souvenirs qui l’assaillaient. Ils n’étaient plus des enfants, ils savaient ce qu’ils devaient faire ; et elle devait se protéger de ce qui lui faisait du mal.
Aussi dit-elle d’une voix blanche.
« Je ne crois pas que ce soit réparable. »
D’un geste, s’empara du billet et encaissa la dépense faite par son aîné qui revenait. Dans sa main laissée grande ouverte, elle déposa les quelques pièce qui composaient sa monnaie, lançant un regard de défi. Quoi, c’est pas ça que tu attendais ?!
Ils étaient des adultes, maintenant, ils savaient ce qu’ils devaient faire. Odalie devait l’empêcher de lui faire du mal à nouveau. Il en avait déjà trop fait, trop ravagé qui elle était, car tout cet océan de glace dans les marasmes de son cœur, elle ne le devait qu’à lui seul.
« Parfois, lorsque les choses sont cassées, on ne peut pas les réparer. » souffla-t-elle sans laisser paraître les maelströms de l’émotion. « Quand on tient aux choses, il faut juste … ne pas les casser. »
Comme en face d’elle, le brun restait, elle renchérit d’un ton acide.
« Je crois que ton achat est fait, tu vas pouvoir partir maintenant, Alix. »
C’était la première fois qu’elle prononçait son prénom depuis au moins 5 ou 6 ans. Sur ses lèvres, ça laissait comme un goût étrange, le goût d’un mot qu’on a usé avant de le mettre au rebut. Le goût d’un nom qu’on a aimé avant de le haïr un peu.
Sans prêter la moindre attention aux mille tourments qui l’ajoutaient, les questions qui la harponnaient, si elle avait raison ou tort, si elle regretterait ce qu’elle faisait. Sans prêter la moindre attention à l’immense brèche dans l’océan qu’elle avait cru pouvoir geler, elle contourna le vieux comptoir pour se poster auprès de lui, le raccompagner vers la sortie.

Maintenant, tu peux  partir, Alix.
C’est ce que tu fais de mieux, de toute façon.

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Jeu 19 Aoû 2021 - 18:32
C'était précisément pour éviter ça qu'Alix n'avait jamais osé imaginer jusqu'au bout ses retrouvailles avec Odalie.

Des années, déjà, qu'il a retrouvé sa trace, et ce n'était pas par hasard. Il l'a cherchée à une époque où il s'imaginait assez fort pour l'affronter ; il l'a trouvée alors que dans sa vie régnait la sérénité d'un bonheur auquel il ne manquait qu'elle. À l'époque, il a égratigné ses espoirs en la regardant évoluer dans sa vie comme si elle n'attendait rien de personne, comme si elle se suffisait à elle-même et alors, c'est la jalousie qui l'a empêché de tendre cette main piteusement ouverte sur le comptoir. Parce qu'elle ne semblait pas avoir besoin de lui, parce qu'il n'avait pas l'air de lui manquer, parce qu'elle, elle ne le cherchait pas. Odalie avait le regard de quelqu'un qui avait depuis longtemps débarrassé le tiroir secret de ses regrets, qui ne s'encombrait pas de ces choses-là, et ça l'a beaucoup trop blessé pour qu'une rebuffade de son esprit jaloux ne lui fasse croire qu'il était dérisoire de chercher à dépoussiérer le sien. Après tout, il était heureux, lui aussi. Chaque soir, il s'endormait près d'une femme merveilleuse. Il était sur le point d'être père. Il allait construire une famille, un foyer dans lequel chaque appel recevrait une réponse, dans lequel chaque peine serait entendue et consolée, chaque doute serait écouté et compris.
Alors à quoi bon, finalement, s'accrocher à une sœur qui avait oublié depuis longtemps que c'est à ça que servent les familles, si un jour seulement elle l'avait su ?
Alix avait renoncé, alors, à essayer de s'approcher ; il s'était promis de ne le faire qu'à condition de pouvoir assurer sa propre sécurité, et ça impliquait de ne pas trop espérer, de ne pas trop attendre. À aucun moment il n'a réellement cru qu'Odalie accepterait de prendre sa main.
À aucun moment avant celui-ci. « Je ne crois pas que ce soit réparable. »
Alors que le billet disparaît et que la monnaie de sa lâcheté se déverse dans sa main, le triton reste immobile, lèvres entrouvertes, yeux fixes. On parle d'un état de sidération dans son sens le plus strict ; c'est tout ce qu'il a à répondre au regard de défi que lui jette sa petite soeur. À croire qu'elle cherche à lui prouver quelque chose. « Parfois, lorsque les choses sont cassées, on ne peut pas les réparer. »
Mais on ne peut jamais savoir si c'est réparable ou pas avant d'essayer, et elle n'a pas essayé ; il ne promet pas que tout reviendra comme avant, qu'ils redeviendront ces deux étoiles filantes au milieu d'une voie lactée tristement immobile, mais peut-être qu'ils peuvent au moins... « Quand on tient aux choses, il faut juste … ne pas les casser. »
Ne pas les casser. Oui. Logique, c'est logique, s'entend-il réfléchir, tâchant de rattraper le fil de ses pensées qui semble avoir continué sans lui. « Je crois que ton achat est fait, tu vas pouvoir partir maintenant, Alix. »
Elle quitte son regard qui ne peut pas la suivre, et qui tombe alors simplement vers le comptoir, avisant la monnaie dans le creux de sa paume, le baladeur à côté. Près de lui, il sent la présence qui le chasse sans parvenir tout à fait à l'associer au moment présent dont il a été coupé par le violent couperet de sa déception. C'est pour ça qu'il n'a jamais osé imaginer comment ça se passerait, quand il la retrouverait. Il n'a jamais eu assez de courage pour vouloir se mettre, même seulement mentalement, dans la situation d'un nouveau refus, d'un nouveau rejet. Quand on tient aux choses, il faut juste ne pas les casser. « Comme si c'était ma faute, siffle-t-il en reculant d'un pas, posant enfin sur Odalie la foudre de son regard accusateur. J'étais adolescent, j'étais malheureux. J'ai voulu t'emmener avec moi ! »
C'est pas juste, c'est pas juste que tu me reproches de t'avoir abandonnée alors que j'ai voulu t'emmener, alors que je voulais pas te laisser ! C'est comme si c'était son cœur de quinze ans plus jeune qui se débattait dans sa poitrine maintenant, qui protestait face aux reproches qu'il ne peut pas trouver justifiés, et qu'il rejette pour rejeter parce qu'il ne veut pas être ce pauvre con qui encaisse piteusement sans être capable de se détendre.
La monnaie de sa pièce glisse au fond de sa poche et sa main désormais libre saisit l'appareil toujours posé sur le comptoir. Il voudrait le brandir sous le nez de sa sœur, lui montrer comme il est maintenant pour qu'elle grave bien cette image dans sa mémoire et qu'elle la compare à ce qu'il lui montrera une fois qu'il l'aura réparé, qu'il aura réussi. Au lieu de ça, il le garde au creux de sa grande main fermée. « J'étais trop jeune pour me rendre compte que tu pouvais pas me suivre mais m'accuse pas de n'importe quoi, on était tous les deux des enfants. Je t'aurais jamais laissée comme si t'avais... si t'avais pas. »
La colère lui fait perdre ses mots, il a beaucoup trop mal pour articuler des phrases qui dans sa tête ne forment plus qu'un tourbillon incohérent. Ses dents sont serrées, il a envie de pleurer, et de crier, de s'enfuir ou d'attaquer mais surtout de pleurer. Si tu m'avais pas chassé comme ça, si t'avais essayé de comprendre. « Ça a aucun sens de se reprocher ce qu'on a fait y a quinze ans, on se rendait compte de rien mais maintenant. »
Sa main tremblante s'ouvre, il désigne le mp3 et prend le temps d'une inspiration difficile avant de poursuivre. « Maintenant on est adultes et on a plus de pouvoirs qu'avant. Je peux réparer ça, mais ça servira à rien si t'en veux pas. »
Rien de ce que je peux faire n'a de sens si tu continues de me repousser, je peux me battre contre tout mais sûrement pas contre toi. Cette phrase, c'est comme un leitmotiv ridicule et douloureux qui lui tourne dans la tête. Ce n'est pas la première fois qu'il la pense. Il en a marre de se battre. Il préférerait aller acheter deux glaces à l'épicerie d'à côté et aller s'asseoir sur la plage avec elle. Aller nager peut-être et mettre un film ensuite, se laisser être un adolescent, retrouver sa petite sœur.
Une sonnerie venue de derrière Odalie le fait sursauter, comme si l'instant présent avait fini par le rattraper. Il y a un client qui vient d'entrer dans le disquaire et quel que soit l'effet que ses mots ont eu sur la sirène, la diversion est sûrement trop belle. Ce foutu client vient de lui voler le peu de temps qu'il lui restait, et pour ça il a largement mérité le regard assassin que l'espion lui envoie.
Ses yeux retrouvent ceux d'Odalie, qu'il toise presque maintenant, regagné par la colère, déchiré par le chagrin. « Je te le rapporterai. »
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Jeu 19 Aoû 2021 - 20:27
Ton chemin, mon chemin, le chemin.
Odalie x Alix

C’était sans doute ça, le plus rude, au fond.
Elle avait beau croire, beau essayer, rajouter des couches de ciment sur les brèches béantes de son cœur, ça ne fonctionnait pas. Ça fonctionnerait sans doute jamais. Dès qu’il était là, auprès d’elle, elle avait qu’une seule envie : redevenir la gamine de dix ans qu’il emmenait promener sur la plage, avec leurs glaces aux milles parfums qu’il fallait lécher super vite pour ne pas que la crème glacée ne leur dégouline sur les doigts. La gamine qu’elle avait été, elle s’en souvenait comme d’une photo, un instant figé dans la glace, mais impossible de la rattraper, la recueillir, impossible de la protéger. Si elle décidait d’ouvrir le sas, c’était cette même gosse sans défense qui sortirait de sa poitrine. Elle n’avait pas grandi d’un pouce, Odalie. Et elle avait beau se le dire, se répéter en long en large qu’elle arriverait à passer outre, c’était pas le cas. Ce serait sans doute jamais le cas.
Parce qu’on l’avait privée d’enfance. Elle s’était rendue compte seulement après son départ à quel point. A quel point sa mère l’avait encouragée -elle disait encouragée parce qu’elle l’aimait hors de toute mesure, mais certains auraient dit forcée- à être une adulte avant l’heure. L’adolescente qu’elle avait été n’avait pas eu de place pour croître, alors il y avait une adulte qui un jour avait pris sa place, l’avait rangée dans un bocal et l’avait soigneusement nourrie pour que jamais elle n’en ressorte. Comme un poisson rouge à l’intérieur d’elle-même. Ironique, pour une sirène.
Odalie ne ressentait rien, elle ne voulait rien ressentir. Elle ne pouvait rien ressentir, parce que sinon elle exploserait. Tout lui exploserait au visage. Les réunions parents-professeurs, où il n’y avait pas de parents, les soirées passées sur ce canapé où il y avait trois formes de corps mais où seul le sien demeurait, les moments passés dans son lit, sans oser le défaire vraiment, tous ces moments-là, l’affection à laquelle elle s’était accrochée, qu’elle avait fini par sacrifier parce que ça lui faisait trop mal.
Elle ne voulait plus avoir mal.
Pas à cause de ça. Pas à cause de lui. En fait, à cause de lui, c’était à cause d’elle, et ils le savaient tous les deux. A cause de la vie, en entier. C’était nul à chier, ces années à le regretter, hein Alix ?! Oui, réparons ça, mon grand frère, réparons ce qu’on a cassé, que le temps a empoussiéré. Je veux pas de ça entre nous.
Ça aurait été tellement plus facile de réagir comme ça. Se laisser aller à y croire, à croire qu’un jour ils pourraient être même une infime poussière d’étoile de tout ce qu’ils avaient été. Mais non. Non, elle ne pouvait pas choisir que ce soit facile. Elle ne voulait pas que ce soit facile ; parce que c’était facile d’y croire encore. C’était facile et pire, c’était tentant. C’était tentant d’y croire, de se dire qu’ils pouvaient. C’était tentant, au lieu de le renvoyer dans les rues de la Nouvelle Orléans, de lui proposer de rester. Et c’était parce que c’était tentant qu’il ne fallait pas qu’elle y cède. Comme Ulysse avec les sirènes.
Elle l’écouta sans rien dire, laissant son regard inflexible se fissurer comme un pardon. Un pardon qu’elle ne demanderait pas, qu’elle ne demanderait jamais. Un pardon qu’elle ne voulait pas donner. Mais surtout, un qu’elle ne voulait pas recevoir, parce qu’elle s’en estimait pas digne. Elle ne l’avait pas cherché, jamais. Elle avait été lâche, elle avait voulu l’oublier, égoïstement, c’était bien plus facile pour elle. Mais elle n’avait rien oublié, tout était là, seulement, enfoui. Ne demandant qu’une main tendue pour revenir à la surface.
Non.
Il était en colère maintenant, et c’était tant mieux. Parfait. Qu’ils se haïssent l’un l’autre, c’était plus dur que s’aimer, oui, mais ça les blesserait tellement moins. C’était ça, au fond, non ? Deux adolescents blessés qui essayaient de ne plus l’être. Odalie était bien consciente que lui refaire une place à lui, c’était s’exposer à un vide, s’exposer à de la douleur, à quelque chose qui éclaterait dès qu’elle aurait le dos tourné. Elle ne pouvait pas s’y résoudre.
Des enfants. Des enfants, c’était ce qu’ils étaient, et c’était ce qu’ils sont toujours. Des enfants, debout l’un face à l’autre, incapable de s’excuser, incapable de faire les choses qui étaient si simples pourtant. Pardonner. Réparer. Effacer. Se souvenir. Recommencer. Quitter le magasin plus tôt, se promener sur le front de mer.
Oui, elle pourrait. Elle pourrait, et elle aurait pu.
« Comme tu veux. »
Elle gardait les mâchoires serrées pour ne pas que sa lèvre tremble. S’il voyait comme il la heurtait, la bousculait, la dérangeait, il verrait qu’elle était fragile, il creuserait dans la faille encore et saccagerait ce qu’elle était. S’il voyait comme il la heurtait, il ferait ce regard encore, celui de l’homme qui est ému, celui de l’homme qui a cherché.
Un fin voile de brouillard salé vint recouvrir ses deux iris. Réparer ça.
Oui, elle pourrait. Elle devrait. Elle caressa cette possibilité comme on caresse un petit chat. Elle pourrait. Elle pourrait le serrer contre elle, partir avec lui sur les quais, ils pourraient renouer doucement, se raconter tous ces quinze ans qu’ils avaient passés l’un sans l’autre. Elle lui montrerait son appart, lui jouerait du violoncelle, elle lui raconterait l’enterrement. Elle lui parlerait de mille choses dont on ne parle qu’à un frère, elle l’emmènerait dans les endroits qu’elle aimait tellement contempler. Son numéro de téléphone se trouverait dans ses favoris, et elle ne l’en délogerait pas, elle lui enverrait des messages à chaque fois qu’un machin débile dans la rue l’y ferait penser. Oui, elle pourrait. Elle devrait. Elle pourrait pardonner, s’asseoir sur tout ça, se dire que finalement l’enfance n’est pas le pire âge de la vie. Elle devrait. Elle pourrait. Peut-être.
Sa main se leva doucement, prête à saisir celle de son frère.
Ils pourraient repartir à deux, ne plus être seuls dans leurs vies, avoir cette ombre malléable qui marcherait derrière leurs pas. Famille. Un mot sale et incompréhensible. Famille. Ils pourraient l’incarner, cette famille, la reconstruire nouvellement, partir à la recherche d’Aurèle, ils pourraient, ils pourraient …

La cloche de l’entrée résonna, interrompant comme un couperet le train de pensées de la brune. Sa main immédiatement tomba, comme accablée par les souvenirs.
Non.
Pour tous les bobos non soignés, les soirées passées dans le noir, pour les surgelés avalés avec personne que son reflet. Non. Pour les mots qu’ils s’étaient pas dits et pour ceux, durs, qu’ils s’étaient dit le soir où il était parti. Non. Pour les années à l’oublier, la terreur qu’il ne surgisse, mais l’espoir qu’il le fasse, aussi. Non. Pour quinze ans, quinze années, putain, qu’ils auraient jamais pu comprendre tant qu’ils les avaient pas vécu. Non. Pour la honte aussi qu’elle avait d’être celle qu’elle était devenue, celle qui n’avait pas besoin de lui et qui lui avait fait comprendre de la plus terrible des manières.
Non. Non. Non. Non. Non.
Lorsqu’il la dévisagea, en colère, elle eut l’impression de crever tellement elle aurait préféré que les choses se passent autrement. Mais c’était juste un mauvais jour. Demain, elle aurait oublié. Après-demain, elle danserait. Et pas besoin d’Alix pour ça.
« Ok. » grommela-t-elle, comme étranglée par le poids qui pesait sur elle, de l’amertume et des regrets.
Et puis, relevant le menton pour ne pas se laisser toiser, elle ajouta, professionnelle.
« Vous souhaitant une bonne journée, monsieur. »
Une bonne journée. Une bonne soirée. Une bonne vie. Puisqu’elle n’en ferait pas partie, qu’elle avait pris sa décision, peu importait que ça les blesse. Qu’il revienne, qu’il ne revienne pas, elle n’en vivrait pas autrement. C’était ce qu’elle tentait de croire, alors que son cœur semblait saigner dans tous les pores de sa poitrine, alors qu’une boule de détresse venait se loger dans sa gorge. Qu’il revienne, qu’il ne revienne pas, elle aurait toujours sur son être la marque d’avoir été seule. Désormais, elle le resterait, le choisissant sans le subir.
Son client suivant s’avançait.

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