Isrhea II ⋆ I can't help but be wrong in the dark

I can't help but be wrong in the dark

It's time to leave, the clouds are hanging low
The truth begins to show

☾☾ Aujourd’hui, Isra était sur un petit nuage.

En ce moment, tout allait bien. Tout allait trop bien, peut-être, pour quelque chose de basé sur des mensonges. Mais les mensonges étaient faciles, les mensonges étaient pratiques, et c’était bien un moindre crime par rapport à ceux auxquels elle avait assisté. La culpabilité empoisonnait leurs moments parfois, mais c’était un bien maigre prix à payer si elle pouvait être dans les bras de Rhea - tant que cette dernière ne découvrait jamais, ô grand jamais, la vérité.

Mais qui pourrait la lui révéler ?

Ça n’était pas elle qui allait le faire, en tout cas.

Parce que la vérité, elle l’avait claquemurée au fond de son cœur, scellée à double tour, et elle l’avait presque oublié, malgré le venin des remords qui s’écoulaient dans ses veines. C’est mal, Isra. But if it’s bad, then why’s it feel so good ? Est-ce que ça n’était pas mieux ainsi, que Rhea n’en sache rien ? Et si la réalité était trop dure à apprendre pour elle ? Apprendre que la seule famille biologique qui nous restait nous avait abandonnés à l’amnésie à neuf ans, nous condamnant presque à sûr, devait être dur à entendre. Et puis elle avait laissé ça derrière elle, maintenant, avec une nouvelle famille, un nouveau nom…

La djinn se cachait derrière des fausses excuses, de fausses explications, pour apaiser la morsure cruelle des regrets. C’est trop tard, Isra, tu as laissé passer ta chance, de toute façon. Il n’y avait plus moyen de revenir en arrière maintenant, alors autant continuer, non ?

Elle se mentait à elle-même autant qu’elle mentait à Rhea.

Mais tout disparaissait, tous les mensonges et les faux-semblants, tout était oublié quand leurs peaux et leurs lèvres se touchaient. Parfois, elles passaient la nuit ensemble, et Isra regardait la dragonne dormir paisiblement. Sa présence la rassurait, dans le noir - et son coeur se serrait, parce qu’elle se disait que jamais, ô grand jamais elle ne voulait la perdre à nouveau.

Je ne te lâcherais pas cette fois, Myrrhea.

Tout tenait sur cette base incertaine, ces sables mouvants dont seule Isra avait conscience alors que la dragonne s’y tenait intouchable. Seule Isra devait éviter les trous, les dangers, les erreurs, et elle avait peur toujours, mais tant que la main de Rhea était dans la sienne alors elle était prête à passer sa vie à le faire, alors elle n’avait presque plus peur de tomber.

Elle en avait fait une, d’erreur, pourtant - mais elle ne le savait pas encore. Elle n’avait pas vu, pour cette fois, l’ombre menaçante qui pesait sur elle, le piège qui ne s’était pas encore refermé, trop aveuglée par la lumière du sourire de Rhea quand elle lui avait offert la boite à musique qui lui revenait de droit sans qu’elle ne le sache, et trop heureuse de le lui rendre, ce si beau sourire.

Une de ses collègues avait remarqué qu’elle était un peu plus souriante, ces temps-ci, ainsi que Dani à qui elle avait rapidement expliqué qu’elle fréquentait quelqu’un. Elle ne lui avait pas expliqué les détails, bien sûr. Personne ne les connaissait, personne ne devrait les connaître. Ils resteraient profondément enfoui au fond d’elle, et tant pis s’ils devaient la tuer à petit feu. Parce que les yeux de Rhea, le sourire de Rhea, la douceur et la force de Rhea, l’amour de Rhea simplement, elle ne pouvait plus s’en passer. Si c’était pour l’aimer et être aimé par elle, alors ça valait le coup de souffrir en silence…

Pourtant elle ne pensait pas à ce genre de relation quand elle était venue rendre son catalyseur à Myrrhea, en janvier. Elle ne savait pas à quoi elle pensait réellement. Mais la Riverwood avait commencé à la draguer, à se rapprocher, elle avait été bien trop heureuse de se jeter dans ses bras, d’apprendre ce qu’était l’amour à ses côtés, elle qui n’avait jamais connu ça. Ou qui avait toujours connu ça, au contraire, envers Rhea.

Parce que quand ses sentiments avaient évolué, elle n’aurait pas sû le dire. Mais elle l’aimait, oh, elle l’aimait tellement qu’elle était prête à tous les sacrifices, même celui de sa conscience trop vite étouffée.


Alors aujourd’hui, elle était sur un petit nuage, quand elle arriva en Nouvelle-Orléans. Elles avaient rendez-vous, elle était transportée de joie. Un peu inquiète, parce que Rhea ne lui avait pas envoyé de message depuis la veille au soir, mais la djinn se disait qu’elle avait dû travailler tard, en oubliant de la prévenir. Mais elle faisait taire ses inquiétudes dont elle avait trop l’habitude et par lesquelles elle refusait de se faire envahir en présence de la dragonne.

Isra, la douce Isra, ne l’aurait jamais pensé - mais il s’avérait qu’en réalité, elle était très douée pour mentir.

Surtout à elle-même.

Alors aujourd’hui, Isra était sur un petit nuage. Et elle refusait de voir qu’il s’était teinté de ténèbres.



C’est le regard houleux de Rhea qui la percuta en premier.

Lui coupant le souffle comme un poing dans les côtes, faisant mourir l’ébauche de sourire qui avait fleuri sur ses lèvres. Interloquée, Isra fit un pas en arrière, bloquée par la porte qu’elle avait passée et qu’elle venait de refermer derrière elle.

-R-rhea ?

Elle savait. C’était écrit dans ses yeux, c’était écrit partout sur son visage, c’était écrit dans toutes les fibres de son corps et Isra était terrifiée.

Elle savait, mais comment ?

-Qu’est-ce.. qu’est-ce qu’il se passe ?...

Le dos de la djinn toucha la porte derrière elle sans qu’elle ne s’en rende compte.

Aujourd’hui, Isra était sur un nuage, et il était orageux.

I can't help but be wrong in the dark

It's time to leave, the clouds are hanging low
The truth begins to show

☾☾ Is it true ?
It is.

Did you help my grandmother kidnap me ?
I did.

Have you known how to give me my memories back this whole time?
I did.

Did you lie to me from the second that you  stepped in here?
I did.

I did.

La liste de ses crimes était dictée, énoncée, révélée au grand jour. Connue de tous et surtout de celles qu'ils concernaient, qui continuait de le décliner, mots après mots. Chacun comme un nouveau couteau qui s'enfonçait dans le cœur meurtri d'Isra, qui se recroquevillait un peu plus contre la porte à chaque syllabe prononcée.

I did.

Rhea continuait, inflexible, implacable, ses yeux orageux planté dans celui de la djinn qui ne pouvait y échapper. Des larmes perlèrent mais elle ne s'en rendit même pas compte, sous les éclairs du regard de la dragonne ; et quand celle-ci eut terminé, le silence s'éternisa, électrique.

Isra ne savait pas quoi dire. Elle n'avait plus rien à dire. La vérité qu'elle avait voulu cacher était trop dure à entendre, et pourtant elle flottait dans les airs, comme une épée suspendue au-dessus de sa tête. Si elle mentait encore, si elle disait non, l'épée s'abattait sur elle et lui transperçait le cœur - et si elle disait oui et confirmait ses dires… eh bien, l'arme la transpercerait aussi.

Il n'y avait aucun cas où elle pouvait s'en sortir gagnante. Mais c’était ce qu’elle méritait, après tout. Elle avait menti, elle avait trahi, elle avait été trop faible pour la réalité. Elle avait préféré rester enfermée dans l'espoir illusoire et éphémère que tout allait bien se passer en sachant que ça n'était pas possible, que ça n'était pas réel. Une illusion de plus, comme celles que tous les djinns faisaient avec leur pouvoir, mais elle n'avait pas eu besoin de sa magie pour ça.

-I-I…

Les mots n’arrivaient pas à sortir, coincés dans sa gorge, coincés pour toujours comme elle l’était - les sables mouvants l’avaient rattrapés, elle s’était enfoncés sans s’en rendre compte, sans vouloir y croire, et maintenant elle était enfermée dans la propre prison de ses mensonges. Enfermée dans son corps, enfermée entre ses côtes là où elle avait loqueter la vérité, enfermée comme si elle était encore au purgatoire. Tout ça parce qu’elle n’avait pas su se résoudre à parler, tout ça parce qu’elle n’avait pas voulu s’engager sur le chemin trop difficile ; non, elle avait préférée emprunter le plus doux et le plus trompeur en fermant les yeux, en se persuadant que ça allait fonctionner tout en sachant au fond d’elle que ça ne serait pas le cas. Tout ça parce qu’elle avait juste voulu quelques minutes de plus, quelques minutes pour rassembler son courage - mais elle ne le possédait pas, ce courage, finalement. Quelques minutes de plus avec Rhea sans se faire détester, quelques minutes transformées en heure, en jour, en semaine. Quelques minutes qui s’étaient écoulées dans le sablier impitoyable des illusions trop fragiles, celui-là même où Isra s’était perdue.

Le nuage s’était effrité et pourtant il l’étouffait, il emplissait ses poumons, il emplissait sa gorge, il avait remplacé les papillons par une fumée tourbillonnante qui l’empêchait de voir clair, qui la traînait à terre, qui lui hurlait tout ce qu’elle était. Coupable, elle était coupable, Isra, coupable de tout et surtout de sa propre faiblesse, de son propre aveuglement, de son propre mirage.

Mais Rhea ne pouvait pas voir ça, Rhea ne pouvait pas ressentir tout ça, Rhea attendait une réponse.

Et Isra n’était pas sûr que celle-ci lui plaise. ou leur plaise, à aucune des deux  - mais ça n’est pas comme si ça importait, maintenant.

-I’m sorry, finit-elle par dire.

L’heure des aveux était venu et ses mots en étaient un, tout sincères qu’ils soient. Mais maintenant que Rhea savait qu’elle lui avait menti, pourrait-elle la croire ? Ou penserait-elle que même ses excuses étaient trompeuses ?

-I’m so sorry, I… I really wanted to tell you. But… I was so afraid… That you would reject me…

La djinn étouffa un sanglot qui lui montait à la gorge. Elle ne mentait pas, cette fois, elle avait réellement eu peur, mais en agissant de la sorte elle n’avait fait que les cristalliser et les rendre inéluctables. Maintenant, c’était trop tard. Ça avait toujours été trop tard.

-You seemed so happy, and…

Elle se tu quand un nouveau soubresaut la secoua, accompagnée de nouvelles lacrymales qui coulèrent le long de son visage. Tout ce qu’elle allait dire, c’était des excuses, uniquement des excuses, la liste interminable d'excuses qu’elle s’était construite pour y croire elle-même mais qui ne tenait plus face à la dragonne. Il n’y avait qu’une chose qui était vraie, terriblement, douloureusement vraie ; c’est que c’était de sa faute.

-I just wasn’t strong enough.

Et à ses yeux, son regard se baissa, coupable et condamné - mais c’était trop tard pour la honte, c’était trop tard pour regretter.

Tu n’étais pas assez forte, Isra, tu n’as jamais été assez forte, sinon rien de tout ça ne serait arrivé.

I can't help but be wrong in the dark

It's time to leave, the clouds are hanging low
The truth begins to show

☾☾ Ça faisait tellement mal.

Chacun des mots de Rhea l'écrasait, la détruisait un peu plus, lui faisait un peu plus mal. Mais le pire, c’est qu’elle savait que ça n’était pas pour elle que c’était le plus douloureux. Que c’était la dragonne qui avait eu sa confiance piétinée, et qu’Isra pouvait se trouver toutes les justifications qu’elle le souhaitait, c’était elle qui avait fait ça.

Elle avait tout détruit, déchiqueté en petit morceaux parce qu’elle était incapable d’autre chose. On lui avait donné une page blanche dans les mains et au lieu d’essayer de faire réapparaître les mots qu’il y avait dessus, elle avait déchiré les bouts avec soin, petit à petit, mensonges après mensonges. Tout ça pour ne pas que Rhea puisse lire les mots qui incriminait la djinn. Mais il n’y avait pas besoin de mot pour que la dragonne sache qu’elle était coupable, maintenant qu’elle l’avait prise sur le fait. Maintenant qu’elle savait qu’Isra était coupable et que cette dernière n’avait rien à dire pour sa défense, parce qu’elle savait qu’il n’y avait rien de plus à dire. Que cette fois elle ne pourrait pas se défendre. Qu’il lui faudrait accepter la sentence.

Mais ça n’était pas pour ça que la sentence faisait moins mal.

Les sanglots silencieux découpaient sa poitrine comme si on l’avait ouvert en deux pour en arrachant son cœur sanguinolent. Elle savait que c’était impossible, que si quelqu’un essayait de faire ça elle retournerait au purgatoire plutôt que de se vider lentement de son sang, et peut-être que quelque part disparaître dans le noir aurait été plus confortable, en cet instant. Ça aurait été lâche c’est vrai, mais elle avait déjà prouvé qu’elle l’était et que c’était en train de tout lui coûter. Lâche Isra, faible Isra, douce Isra. Gentille mais incapable d’être assez forte pour vraiment l’être, incapable de se dresser pour ce en quoi elle croyait. Mais en quoi croyait-elle, de toute façon ? Elle avait cru en son histoire d’amour avec Rhea mais ça n’était que se voiler la face, de penser que ça aurait pu durer, que malgré les fables de plus en plus complexes elle n’allait jamais sans rendre compte. Elle avait cru en les Idreis et elle les avait fuit en voyant les horreurs dont ils étaient capables, auxquels ils avaient voulu qu’elle participe. Elle avait cru en son lien avec Rhysand mais elle l’avait brisé aussi, en l’abandonnant, en le laissant derrière alors qu’elle fuyait.

Sa vie n’était qu’une longue liste d'échecs et de déception qu’elle avait infligés au gens parce qu’elle était trop faible. Peut-être que si leur relation avait continué, Rhea aurait pu lui montrer comment être forte. Isra avait trouvé ça admirable, la manière dont la dragonne avançait dans la vie malgré ses doutes et sa tristesse, alors que la djinn ne pouvait que l’écouter parler de son ancienne famille sans rien dire, uniquement pour pleurer encore une fois rentré chez elle après. Parce qu’elle s’était encore tu, parce qu’elle avait encore les lèvres scellées après tout ça, qu’ils auraient pu lui barrer la gorge d’un sort que ça aurait été moins efficace que ses propres peurs. Elle n’avait pas pu. Elle s’en était voulu, mais elle n’avait pas pu.

Et maintenant, voilà où elles en étaient.

-I… I did find you on the crowd without… knowing you were here. I thought… I thought you were already dead, and… that it was… my fault. Because I couldn’t stand against them...

À la fin, c’était ça, le nœud du problème. C’était ça, qu’elle s’était reproché durant toutes ses années et qu’elle pensait que Rhea ne lui pardonnerait jamais. Peut-être qu’elle aurait pu le faire si elle le lui avait dit dès le début. Mais comment était-elle censée annoncer ça ? Hey, Rhea, before you even start to like me, I have something to tell you. Actually, I was part of the djinn clan that you probably hate, yeah, the one that abandoned you and erased your memories.

Peut-être que la meilleure idée, tout simplement, aurait été de donner le collier à River pour qu'il l'apporte lui-même, et tout se serait fini avant même d’avoir commencé. Il n’y aurait pas eu de luttes, pas de lueurs d’espoir, pas de douleurs ou de larmes ou de drame. Juste la pénible sensation d’avoir manqué quelque chose.

Mais ça n’aurait été rien. Ça aurait été supportable, bien plus que d'être prise sous le feu de la colère et la souffre de Rhea. Bien plus en tout cas que la douleur qu’Isra ressentait en cet instant, avec les dernières miettes qui restaient de son cœur brisé.

But you would you believe me now, if I tell you I never wanted to hurt you ?