Mes valises gisaient dans mon appartement depuis cinq jours.
Elles étaient accumulées, et des vêtements s’étalaient de partout autour. La seule chose que j’avais pris la peine d’installer correctement dans ma location, c’était mes vivariums. Les monarques et les sphinx voletaient, et j’avais ni couronne sur la tête, ni énigme résolue. Une carte de la Nouvelle-Orléans était étendue devant moi, et je faisais les quatre cents pas pour comprendre ce qui se passait. J’avais perdu mon travail, en avait retrouvé un autre sous qualifié, et j’errais dans ma honte de classe. J’avais cinq ans d’études supérieures, et je trouvais ça humiliant de travailler au McDo comme un putain de pauvre. J’avais des béquilles, désormais, et monter les escaliers était un supplice de tous les jours.
Je faisais monter les livreurs UberEats jusqu’au deuxième étage. Je payais la livraison, c’était pas pour rien.
Mes valises gisaient dans mon appartement depuis cinq jours, et j’avais d’autres pensées que le rangement de mon appartement.
En induisant de sucre les petites éponges pour mes papillons, j’avais fais une représentation claire de la Nouvelle-Orléans. Les enquêtes s’étaient bêtement fixées sur une piste, puis sur d’autres. La première avait été sur des portraits robots flous, des indices de surnaturels et des historiques de venues et de sorties de l’hôpital. Obsessivement, je m’étais fixé sur la dernière personne à avoir vu ma mère. Si c’était une erreur, je préférais rester dessus. J’avais des noms changeants, et les informations récupérées aux informations locales et par les Chasseurs me permettaient de suivre les changements de son identité.
Riverwood courait sur mes lèvres comme une insulte, un nom maudit.
J’avais fini par extrapoler.
Et si, d’une personne, c’était devenu un conflit global d’une famille entière envers ma personne ? Les services hospitaliers pouvaient coûter cher, et peut-être qu’ils jouaient les philanthropes pour couvrir d’horribles choses ? Tuer ma mère aurait pu permettre de limiter des soins en éliminant le personnel hospitalier, et donc d’avoir plus de dons et de bonté à distribuer. Peut-être qu’ils surfaient sur une vague de joie pour cacher leurs méfaits.
Je me disais que c’était sûrement ce que les gouvernements faisaient, et les grandes célébrités aussi. J’avais ma théorie au bout des poings, et j’en étais persuadé.
Il y avait eu un complot autour de ma famille, pour dix mille raisons. Sûrement qu’on voulait pousser mon père au désespoir, alors qu’il ne s’inquiétait plus de sa femme. J’osais espérer que la mort de ma mère l’ait affecté, même si j’avais pas voulu le croiser à l’enterrement. C’était peut-être un plan pour récupérer le siège de sa fabrique de canapés. J’avais voulu trouver des informations sur la hiérarchie de son entreprise, en vain. J’étais pas qualifié pour avoir ce genre de données, et je serrais les dents à me briser la mâchoire.
Ma carte avait des fils rouges de partout, et elle était chaotique. N’importe quel enquêteur verrait que c’était une suite de non-sens, étiré aux yeux de tous.
Je m’en fichais.
J’invitais personne dans mon appartement. Mon paillasson ne connaîtrait pas d’autres paires de talons.
Sur un des points, marqué d’une épingle verte, il avait un prospectus que j’avais trouvé par terre.
J’avais fais une analyse du prospectus. C’était une femme très maquillée, et je trouvais ça un peu vulgaire. Drag queen. J’ignorais ce que c’était. C’était peut-être la reine de la Nouvelle-Orléans, quelque chose comme ça. Il fallait que je me rapproche des membres de la royauté de cette ville, même s’il me semblait que l’Amérique avait mis bas à la monarchie depuis longtemps. C’était très européen de sa part, et très présomptueux. Je priais la sainte démocratie du bout des lèvres, pendant que j’avais entouré de dix mille cercles brouillons le mot « dragon•ne », qui avait des points pour des raisons étranges. Etait-ce un dragon ? Une dragonne ?
Je m’en branlais.
C’était surtout une hérétique de se positionner dans la confusion, ainsi, de se déclarer reine et être aux pouvoirs grandiloquents. Il y avait de la neige autour d’elle, et je me disais qu’on était en août, donc que c’était une terrible erreur de marketing.
J’y avais été.
Je savais pas quoi porter, dans les cabarets. Sur Internet, j’avais vu qu’il y avait des personnes avec des boas en plume, et je trouvais ça étrange. On pouvait marcher dessus. C’était peu pratique. J’avais peu d’affaires sur moi, à part des innombrables chemises plus impersonnelles les unes que les autres. Ma garde robe était sans paillettes, sans couleur, uniquement du noir et du blanc qui se succédait.
Le plus effrayant, c’est qu’il n’y avait qu’une teinte de noir. Qu’une teinte précise d’un blanc qui cassait les yeux.
J’avais opté pour une petite folie avec un collier qui brillait un peu, et j’avais caché ma croix sous ma chemise. Il paraissait que c’était mal vu de porter des signes religieux dans de tels lieux.
J’étais pas mécontent.
Je me cacherai du regard de Dieu sous les toits, et sûrement qu’en la camouflant, il me perdrait du regard.
Le cabaret est tout petit, et je rougis un peu. C’était plus compliqué pour se perdre dans la foule. J’ai une gueule atypique, et je le sais, avec mes yeux endormis, mes cernes trop grandes, mes tâches de rousseur diffusée à l’aérographe sur la face et mes longs cheveux roux. Alors, je me cale dans un coin, avec un petit carnet et un enregistreur. Avec un peu de chance, je passerai pour un dénicheur de talent, ou un journaliste. C’était là mon plan. Passer pour quelqu’un que j’étais pas pour avoir mes informations.
Qui était les Riverwood, où ils étaient, qu’est-ce qu’ils faisaient de leur vie, où ils habitaient, dans quelle demeure, est-ce que c’était réellement des gens bien, est-ce qu’ils avaient des domestiques ? Je pourrais devenir l’un d’eux, pour infiltrer la maison de l’intérieur et comprendre leur façon de vie.
Je me perds dans mes pensées et le rideau s’ouvre sur une jeune femme aux cheveux blancs. Je me dis qu’elle doit avoir une fibre capillaire épaisse pour créer autant de volume avec ses cheveux. Je plisse les paupières et tente de tout décrypter. La musique est entraînante, et je suis confus. Je regarde autour de moi pour savoir comment j’étais sensé réagir. Je vois que les gens crient de temps en temps quand la femme fait quelque chose comme lever son bras. Je le note sur mon carnet.
Crier quand on lève le bras. Très bien.
Ma tête bouge au rythme de la musique et je trempe les lèvres dans mon whisky de temps en temps.
Puis.
Le fond est étoilé.
Venus, I'm burning in the atmosphere, and I don't care, no, if I shine too bright. I've seen the beauty in the blinding light. Now I can fly.
Je bois un peu plus, parce que je tremblotte.
Toujours là, cette connasse de Vénus. J’avais fuis mon laboratoire pour ne plus l’entendre chaque matin, et me voici dans un cabaret, à essayer de comprendre des zones d’ombre de ma vie.
Et elle était là, brillante, blanche, dans sa robe bleue et-
Je pense que l’univers me
Le numéro est plutôt divertissant, même si j’arrive pas à comprendre pourquoi les gens crient. De temps en temps, j’ouvre faiblement la bouche et crie un peu, pour paraître un peu des leurs.
Impossible, parce qu’ils sont maquillés, et que je comprends pas pourquoi ils le font. J’étais pas une tapette à le faire, et je me sentais déjà suffisamment con avec mon collier de perles qui brillait. Il avait une planète avec une couronne, à l’effigie de la marque Vivienne Westwood. J’avais cru comprendre que la performeuse était royaliste, alors je me disais que j’allais l’approcher plus facilement comme ça.
Je plisse les yeux quand la neige apparaît. Je me dis qu’on est vraisemblablement pas en hiver, et qu’il est loin de faire 0°C dans la pièce. C’est absurde que de la neige se forme. Les paupières incrédules, je dessine quelques flocons sur ma feuille, tentant de comprendre désespérément cet étrange phénomène. Pourquoi il y a de la neige en août ? J’en avais rien à faire de l’écologie, mais c’était juste absurde. Pourquoi il y a de la neige en août et en intérieur ?
J’ai une illumination.
Parfois, on utilisait des canons à neige pour en créer de l’artificiel. Je me dis que sinon, c’est des projections 3D et holographiques. Je lève les yeux et confond le projecteur vidéo pour le fond avec des machines à hologramme. Il y a des effets étranges sur sa peau, et c’est comme si la femme se mettait à briller. Je plisse les yeux à la recherche d’une explication rationnelle.
Les dragons, ça existait que dans les contes.
Sinon, c’était mort dans la réalité.
Personne n’aimait les dragons. C’était les méchants des contes, et j’étais prêt à devenir un prince sans princesse pour les tuer gratuitement s’il le fallait. Je ne voyais qu’une femme sans vertu, et c’était déjà le cas pour se produire dans un endroit pareil.
Ma croix me fait mal.
Seigneur, pardonne-moi d’être ici.
Les écailles doivent être un effet d’éclairage. Je me dis que vu son maquillage, elle doit s’être maquillée les bras aussi, et l’intégralité du corps. Sûrement que si je me penchais, je verrai qu’il y a des paillettes et du brillant. Je souffle et respire à nouveau, rassuré.
Cette femme était une usurpatrice, encore et toujours.
Le spectacle se termine et j’applaudis. Mes paumes me font mal. Elles ont pas envie, alors mes poignets s’actionnent à leur place. Précipitamment, je me lève et tente de pénétrer dans les backstages.
« Excusez moi, je suis journaliste, j’ai une interview avec Glo… La performeuse. »
Le cabaret est miteux et sans sécurité. Je parviens à pénétrer les backstages et je vois des perruques de partout. Je me dis que j’ai envie d’en mettre une pour cacher mes cheveux roux que j’ai envie d’arracher à ce moment même. Je vogue dans les couloirs, et je suis peu à l’aise. Je vois plein de personnes très maquillées, et je me dis que j’aurai mieux fait de me renseigner un peu plus sur cet étrange univers.
Parfait.
Je tape deux fois.
Je n’ai pas de patience.
J’ouvre la porte et entre sans gêne.
« Excusez moi, je ... »
Je vois la star avec son joint dans sa loge et mon coeur s’arrête.
J’ai terriblement besoin d’une cigarette, j’ai terriblement besoin de fumer. Les effluves s’atteignent mon nez et je sens ma gorge pulser.
Je contiens mon crâne qui hurle et je me reprends difficilement. J’ai l’air d’un fan hystérique.
« C’était … C’était très touchant votre spectacle, bravo ! J’ai adoré vos références à l’espace et à l’astrologie, parce que Vénus est en rétrograde en ce moment et c’est l’année du dragon sur le Nouvel An Chinois, quelle coincidence, votre marketing est si bien fait … Mais c’est normal ! Enfin, venant d’une personne … Aussi grande que vous … Glory Fame ? C’est ça ? Un nom incroyable, vraiment, Fame comme … Comme la …. Comme la célébrité qui vous attend sûrement ! J’ai ... » Je ne sais pas m’arrêter parce que je panique. « J’ai des amis agents qui seraient ravis de vous avoir et … Euh ... »
Je me colle à la porte en la refermant, m’attendant à partir à tout moment.
« … Et … C’était très impressionnant cette … Neige … Il fait un peu froid quand même dans la pièce c’était … Très bien … Fait. »
De très beaux hologrammes, oui. J’ai toujours mon chloroforme dans ma poche, comme toujours. J’ai l’impression d’être une brebis au milieu de lions, avec des intentions mauvaises et des mensonges autour du cou.
Je lève les yeux et remarque que sa robe était légèrement baissée. Je plisse les paupières et fronce les sourcils.
« … Enfin je … Je vous dérange peut-être en fait ? »