Don't forget the past, but think about the future | Alaska Jude

Aujourd’hui, il pleuvait.

Comme tous les matins, Jude était arrivée à son garage de bonne heure. La route entre l’appart qu’elle louait et le terrain qu’elle avait acheté pour y installer le « Jude’s Motorcycle & Muscle Car repair » n’était qu’à quelques minutes de routes. Mais la dragonne aimait cette coupure entre son foyer et son travail, bien qu’elle adorait son métier.

Oui, elle adorait son métier, si bien qu’elle avait le même depuis des dizaines d’années, presque un demi-siècle. Aujourd’hui, c’était au total quatre garages qu’elle avait ouvert, et trois qu’elle avait revendu. Certains avaient changés de noms, d’autres avaient gardé le même, et Jude touchait une part des bénéfices de chacun de ces garages. On pourrait parler de chaîne, même si elle n’en était plus propriétaire depuis longtemps. Il fallait dire, c’était ça qui lui avait donné cette réputation dans la réparation, et la reconstruction de voitures anciennes.

Anciennes…

La plupart de ces voitures avaient son âge, peu avaient été construites avant, beaucoup après. Elle avait vu l’effervescence – ou le manque d’intérêt total – à leur sortie, puis elle les avait vu devenir old school, gagner en popularité, en cachet. Au final, c’étaient des voitures de son époque que la dragonne réparait. Alors elle était arrivée au garage, il y avait une heure à peine. La matinée était froide, le mois de mars battait son plein. Son gilet doublé de polaire couvrait à peine la morsure du vent. Et il pleuvait.

Elle était assise sur une pile de carcasses écrasées. Celles dont elle ne ferait jamais rien, à part les faire taguer de temps en temps, suspendre un panneau à l’un des bout de châssis qui dépassait, en guise de décoration. Mais souvent, comme d’un siège. De là, à trois mètres au-dessus du sol, elle avait une vue presque imprenable sur son terrain. Certes, elle ne voyait pas le toit de son garage – lequel on pouvait y accéder par un escalier escamotable dans l’arrière-boutique de l’atelier- mais pour le reste, elle distinguait clairement les différentes sections de ses parkings, son panneau lumineux qui clignotait fautes d’ampoules neuves annonçant l’entrée pour les clients, l’allée presque parfaitement entretenue  où poussaient malgré tout quelques mauvaises herbes, la porte rouillée et large de son hangar, la grille constamment fermée par un épais cadenas qu’elle avait ouvert pour la seule et unique fois quand elle avait installé son affaire ici.

Perchée sur sa tour d’épaves, la dragonne contemplait son petit royaume, sous la pluie. Cela lui arrivait souvent, ces petits moments mélancoliques où Jude ne savait rien faire d’autre que de contempler ce qu’elle avait. Elle observait tout, se demandant combien de temps encore elle ferait ça. Combien de temps supporterait-elle cette vie ? certes, chaque jour était différent, avec son problème, sa solution. Il n’y avait guère de monotonie dans le travail de la garagiste, encore moins depuis qu’on l’appelait à l’aide un peu partout dans le pays.  Mais…. Combien de temps ?

La réponse était claire, un jour sans qu’elle sache lequel, toutes ces années la rattraperont, et Jude disparaitra aussi vite qu’une feuille balayée par le vent. Et pourtant, cela faisait cinquante ans que Jude réparait des voitures.

La mélancolie était là, elle ne pourrait rien y faire. Elle mettrait plusieurs jours à s’en aller. Plusieurs jours où la dragonne penserait à sa vie passée, à ses bonheurs perdus, à Dani… Elle ne pourrait rien y faire.

Et en plus aujourd’hui, il pleuvait.

D’un mouvement vif, elle se cogna une cuisse du plat de la main. Il était temps qu’elle bouge ! Elle avait une jeunesse prétendument éternelle, ça l’empêcherait pas de tomber malade, et elle ne réparerait aucune voiture avec un maudit rhume attrapé si stupidement ! Alors qu’elle croyait entendre une voiture approcher du parking, elle descendit de sa tour de métal rouillé, d’un mouvement habitué de celle qui l’a fait bien assez souvent pour savoir où elle pourrait ne pas se faire mal. Tentant de casser la monotonie de sa contemplation, c’était d’un pas vif que la dragonne se dirigea vers l’entrée arrière de son atelier. Elle était trempée, forcément, et son gilet eut tôt fait de trouver sa place sur le radiateur, tandis qu’elle alla dans son vestiaire enfiler un bleu de travail après s’être séchée.

Finalement, elle alluma les lumières de l’enseigne lumineuse – pas celle devant le terrain, mais celle accrochée sur le bâtiment – et ouvrit le large volet de sa vitrine, où sa dernière réparation était en vente. Une petite MG Roadster de 73 peinte en bleu pastel. Après avoir baillé à s’en décrocher la mâchoire, elle retourna le petit panneau « open » pour qu’il soit visible de l’extérieur – au cas où les lumières de l’enseigne n’était pas déjà un indice – et se dirigea vers l’atelier où elle alluma sa radio, laissant l’appareil lire son CD de Led Zeppelin.

Au boulot Jude !

Aurait-elle pensé, la petite Jude, que ce jour si mélancholique serait marqué par le passé qui revenait vers elle tel un boulet de canon ? Non, certainement pas. Cela faisait plus de cinquante ans que la plus si jeune dragonne n’avait pas eu de liens avec sa famille. Parfois non sans remords, jusqu’à ce qu’elle se souvienne de la manière dont elle avait rapidement été écartée des siens. Au final, eux non plus n’avaient jamais cherché à la recontacter… Peut être aurait-elle pu avoir un unique regret envers son frère. Il n’avait pas dix ans quand elle était partie. Dans leur petite jeunesse, le lien que les enfants summers entretenait était fort et soudé. Mais très tôt, Joshua s’était révélé ambitieux. Bien pour lui, mais ses parents avaient alors sauté sur l’occasion de mettre leur propre ambition sur le dos de leur fils, lâchant complètement leur fille de leur attention, créant ainsi un fossé qui n’avait fait que grandir avec les années… et quand Jude était parti, il n’y avait plus beaucoup d’interactions entre son frère et elle.

Elle l’avait regretté au début, mais les années étaient passées, les décennies avaient suivit, et à présent, elle ne ressentait plus de vide à l’égard de l’absence familiale. Le vide qu’elle ressentait était bien trop large pour se cantonner à cela. Alors maintenant que cette question était loin de son esprit, comment aurait-elle pu penser que le sujet reviendrait comme une tornade ? Ainsi, elle n’avait pas prêté attention à la voiture qui s’était rapprochée du garage alors qu’elle y entrait. Après tout, la rue n'était pas sienne, et si cette voiture était un futur client, il aurait tôt fait d’entrer dans l’atelier…

Kashmir raisonnait donc dans l’atelier. Elle n’avait pas de rendez vous aujourd’hui, et croyait peut à la possibilité qu’un client vienne sans s’annoncer. Elle fredonnait l’air bien connu face au volant de la voiture dont elle contrôlait les phares quand elle entendit, comme un petit murmure dans le son musical du bâtiment, la clochette de l’entrée de l’espace de vente. Comme à son habitude, elle laissait la porte séparant l’espace de vente de l’atelier ouverte. Elle travaillait seule ici et c’était son seul moyen de savoir quand quelqu’un arrivait sans qu’elle ne surveille l’entrée toutes les dix minutes. Elle jeta un coup d’œil mais le client, ou du moins la cliente, était déjà dans l’atelier.

Elle descendit de la voiture pour faire face à la blonde qui venait d’entrer. Elle était plutôt pas mal, jolie, un minois doux et rond, franchement… pas mal. Dans d’autres circonstances, Jude l’aurait reluqué, mais elle était dans le mood professionnel. La blonde était trempée, pas étonnant avec l’averse. Elle pencha la tête. C’était la première fois qu’on demandait après elle sans avoir que c’était elle… d’habitude, les clients qui venaient grâce au bouche-à-oreille l’identifiaient tout de suite. Pas compliqué, c’était la seule à bosser ici, et on les prévenait souvent. « Mais oui tu sais, la brune à l’air antipathique qui bosse toute seule, tu pourras pas te tromper. Si y’a quelqu’un, c’est Jude Summers ! »

Mais ce qui la perturba d’autant plus fut l’utilisation de son nom complet. Elle ne tiqua pas, bien qu’elle haïssait être appelée comme ça. C’était bien pour cette raison qu’elle ne donnait jamais ce nom là à ses clients. Tout le monde l’appelait Jude, Judie parfois… c’était bien. Mais Judith, non, Jamais. Comment aurait-elle pu savoir que c’était ça, son nom ?

Elle se frotta les mains au torchon qui pendait d’une de ses poches, plus par réflex que par nécessité.


Rester pro. Même si cette question la perturbait toujours, il pouvait y avoir plein de raisons qu’on l’appelle ainsi. C’était très rare, mais probablement cette jolie dame l’avait-elle trouvé via un annuaire, plutôt que par le bouche-à-oreille ou grâce à l’enseigne à moitié lumineuse qu’elle avait installé à l’entrée de son terrain. Elle en vint à imaginer quel genre de soucis la belle blonde pourrait avoir avec sa voiture pour atterrir ici. Elle n’avait pas encore vu le véhicule, et espéra que ce n’était pas une japonaise des années 2000.

Pendant quelques secondes, il n’y eut aucune réponse et si Jude attendit faussement patiemment, elle en vint à se demander ce qui avait pris cette jolie blonde d’atterrir ici. Elle doutait qu’elle soit du coin, elle n’en avait ni le look ni l’accent. Les circonstances étaient curieuses et la question demeurait sans réponse. Que lui voulait-elle ? Aussi la réponse la surprit plus ou moins. Elle était habituée à ce qu’on la prenne pour un homme. A vrai dire Jude n’était pas un prénom courant pour une femme. Et ça n’était pas rare que quelqu’un vienne la voir en croyant rencontrer un vrai homme fort et professionnel. Mais là, quelle démesure dans cette réaction ! D’autant que Judith… c’était plutôt équivoque quand même ! Au final, la mécano n’avait toujours pas de réponses à sa question, et elle s’appuya sur une jambe en levant un sourcil, alors qu’elle posait son torchon sur la portière ouverte de la décapotable.

Puis là, elle ne manqua rien du geste de la blonde. Un bijou à son poignet. Dans un premier temps, ça ne lui évoqua rien. Tout le monde avait un bijou à son poignet… Même si celui-là était joliment orné, précieux. Toujours sans répondre à la question de Jude, la blonde s’avança. La mécano ne bougea pas d’un iota, laissant cette charmante blonde s’avancer vers elle.

Enfin, elle se présenta, et Jude dans un reflex, tendit à son tour sa main pour serrer celle de … La cliente ? Elle n’en était plus sure. Pas maintenant qu’elle savait avoir en face d’elle une Stonegold.

Les grandes familles dragon, Jude s’en fichait royalement. Elle avait suivi d’un œil la guerre, assez pour s’en tenir éloignée , mais fuyait ces grandes familles. Elle ne voulait rien à voir à faire avec eux. Et voilà que l’une d’elles venait la trouver chez elle ? C’en était presque décevant vu la charmante visite. Savoir que les Stonegold savaient où elle pouvait se trouver, c’était pas tant rassurant.

Aussi avec toutes les raisons possibles de la visite d’un Stonegold dans son petit garage Texan, ce qu’Alaska avança glaça le sang de Jude.

Joshua.

Ça faisait des années, des décennies qu’elle n’avait plus entendu parler de son petit frère. Elle s’était souvent inquiétée, au début. Mais n’aurait jamais pu couper les ponts et voler de ses propres ailes si elle s’était encore attachée. Elle avait cru, avec les années, que son petit frère l’oublierait ou pire encore, qu’il nourrirait envers elle une haine de l’avoir abandonné aux griffes ambitieuses de leurs parents. Mais elle avait jugé que c’était mieux pour lui de se tenir éloignée. Il avait l’ambition que ses parents attendaient de lui, et Jude ne voulait pas étouffer les ailes de son frère avec sa petite ambition à elle. Parce qu’au final, elle avait toujours aimé son frère, tout en croyant qu’il l’avait rayé de sa vie.

Elle fit passer le choc de cette révélation par de l’incompréhension. Elle n’était pas sensée savoir qui était Joshua. Alaska cherchait une dragonne septuagénaire, pas une femme dans la trentaine. Personne ne devait savoir le malheur qui touchait Jude. Elle fronça les sourcils, lâchant la main d’Alaska et se détournant vers la voiture pour continuer son contrôle. Si Jude se contrôlait bien, il lui en faudrait peu pour rendre son choc visible.



Feindre l’ignorance. Ça avait marché jusqu’ici. Ça n’avait jamais posé problème. Personne ne pouvait effectivement croire qu’elle était si âgée. Un coup du sort, des gens avec le même nom de famille, ça arrivait souvent. Combien de Smith il y avait dans ce pays sans qu’ils n’aient aucun rapport entre eux ? Des Summers, il devait y en avoir plein aussi… Et si Judith Summers n’avait pas de déclaration de décès, peut-être s’était-elle exilée dans un pays lointain, peut-être était-elle partie faire le tour du monde, ou s’était portée volontaire pour une expérience sombre qui aurait mal tourné, elle aurait pu disparaitre de mille et une façons. Jude elle n’était que mécano dans un garage du Texas.

Avec sa combine, elle espérait que la Stonegold comprendrait le message, et irait voir ailleurs si elle n’était pas ici pour lui confier une foutu bagnole à réparer. Jude se concentra sur le tableau de bord de la décapotable, sur laquelle elle était penchée, par-dessus la portière fermée. Il n’y avait strictement rien  à réparer dessus, mais ça, blondie pourrait pas le savoir.

La journée s’était déjà annoncée mélancolique dès son début, Jude s’était même dis qu’elle pourrait tout aussi bien rester au lit. Depuis quelques jours, elle se sentait mal et triste. Ho elle n’était pas malade, loin de là. Pour autant elle ignorait pourquoi elle avait l’impression qu’une partie d’elle était partie. Malgré tout elle insista. Ouais elle disait la vérité, bien sûr que Jude le savait. Ce dont cette dernière avait besoin, c’était que l’autre se persuade de s’être trompée ! M’enfin quel bon sens pouvait-elle avoir pour croire que la femme devant elle était la Jude vieille et rabougrie ! Quelle têtue…

Elle entendit quelque chose qu’on glissait sur le capot à côté d’elle. Du coin de l’œil, elle ne distinguait pas de quoi il s’agissait. Mais Jude n’avait pas envie de savoir, l’insistance de blondie était exaspérante et la garagiste sentait la patience la quitter de plus en plus. Elle se redressa, lâchant le tableau de bord des yeux pour voir la photo. La nostalgie la prit si violement que la colère en fut alimentée. Elle aurait aimé ne jamais revoir cette photo. Elle la saisit dans l’optique de la rendre, non sans impatience, à l’autre dragonne.


Mais elle se tut, aux mots de la Stonegold.

Comment ça, s’il en avait eu l’occasion ?

Elle regarda un peu mieux la photo. Elle ne se souvenait pas beaucoup de ce jour-là. La photo était grise, vieillotte. La photo était centrée sur son petit frère, même si Jude y figurait, à côté, aussi. Elle devait avoir 14 ans, dans ces eaux-là, et Josh lui… était tout petit à côté. Un large sourire lui fendait le visage, il lui manquait une dent sur le côté, qu’il avait fait tomber en se cognant contre un poteau après avoir tenté de grimper sur un poney. Il était en tenue de cowboy et sur ses santiags, une spirale à chaque pied. Le frère et la sœur se tenaient la main. C’était papa qui avait pris la photo.

Elle se souvint.
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La jeune fille se pencha au-dessus de son tout petit frère. Il avait dans une main un caillou pointu, et dans l’autre l’une de ses bottes de cow boy. Elle rit. Il avait recommencé, maman n’allait pas être contente. Elle avait mis plein d’économies pour lui offrir la pair de santiags, mais comme elle ne pouvait jamais lui refuser quelque chose, elle avait fini par l’acheter. Ho ça, Il était aimé son petit frère. Elle lui ébouriffa le crâne.




Il n’avait pas écrit son nom dans le cuir, à la place, il y avait mis une espèce de petit tourbillon. Elle se fichait, Jude, du prix qu’avait couté ces bottes. Elle connaissait la valeur des choses mais n’avait jamais eu droit à de tels présents. Peu lui importait, si son petit frère était heureux. Il hocha vigoureusement la tête, souriant à s’en rompre les joues. Sa dent était tombée la vielle, peut être qu’il aurait droit à quelque chose cette nuit. Hier soir, les parents n’ont pas quitté la forge…




Et deux minutes plus tard, elle courait pour fuir le chérif de la maison, faisant mine d’être trop lente. Il l’attrapa, elle tomba, et se retourna pour le prendre dans ses bras en riant.




Elle soupira, relâchant ses bras.




Et Jude saisit les fers à cheval tout neufs que sa mère, en colère, lui tendait avant de partir.
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Jude fixa la photo, les bottes et la spirale. Elle se souvenait. Alors qu’elle allait poser la main sur le capot, elle sentit  quelque chose en métal froid se loger dans sa paume. Elle le saisit avant de le regarder. Une espèce de pièce tenue en porte clé toute ronde ou presque… forgée par sa famille, le métal le lui disait, alors qu’elle le touchait et qu’un sentiment chaleureux envahit son cœur, qui se serra d’autant plus.
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L’adolescente regarda son père, muette à présent. En face d’elle,  son petit frère venait de souffler sa huitième bougie. Tout ce qu’elle avait fait, c’était lui dire qu’il était assez grand pour un tour en moto…

Elle se l’était offerte l’année dernière, pour son 17ième anniversaire. Elle avait été seule à le fêter. Ses parents eux, avaient décidés d’emmener Joshua voir d’autres dragons. Des pros qu’ils disaient, pour qu’il commence à maitriser sa magie auprès de grands noms. Forcément, son petit frère avait adoré le voyage, et avait hâte d’y retourner.
Elle ne fit que se confronter au regard froid de son père. Il était déçu, c’était certain. Comment avait-il pu avoir une fille aussi rebelle que Judith ? Il avait pourtant tout fait du mieux qu’il le pouvait. Mais rien à faire, sa fille était un échec. Heureusement, son fils, son cher fils, si doué, lui redonnait espoir en sa descendance. Aussi Joshua avait eu droit au plus gros gâteau fait par la voisine.  Et Jude lui avait servi sa part de gâteau en le charriant. Il avait déjà de la crème partout autour de la bouche. Joshua avait formulé très tôt son envie d’être un vrai dragon. Il en avait fallu peu à leur parents pour délaisser leur fille, lui donnant de plus en plus de tâches pour se concentrer sur l’éducation du jeune Summers.




L’adolescente hocha la tête à la réponse du petit frère. Elle était déjà fatiguée par la situation. Depuis longtemps maintenant, elle avançait seule. Mais son ptit frère lui était toujours là. Elle lui fit un clin d’œil, il pourrait toujours changer d’avis.






Et Jude souris tristement face à l’ambition extravagante de sa famille avant de quitter la table et de partir vers la grange où elle avait rangé sa Thunderbird adorée. Alors qu’elle poussait la porte, elle entendit des pas courir vers elle.




Elle se retourna, heureuse que son frère eut changé d’avis. Peut-être qu’au final, leurs parents n’avaient pas une emprise aussi grande que ça sur leur fils aussi… Il courait vers elle, dans le soir qui éclairait le ciel d’un millier de couleurs orangées, tendant le bras. Il tenait quoi… ? Il arriva à sa hauteur, essoufflé comme pas possible, et du reprendre son souffle quelques instants. Elle le regarda, le sourire aux lèvres, les bras croisés en levant un sourcil.




C’était ça la contrepartie à devenir l’esclave de ses parents. Pour l’instant Josh apprenait à maitriser les flammes de la forge, mais un jour peut-être, à force de forger et de forger, il serait assez fort pour soulever trois bœufs. Entretemps, il savait pas courir sans être essoufflé comme un vieux moteur. Et Jude adorait le charrier avec ça. Il releva la tête en tirant la langue, son petit nez froncé. Jude rit en dénouant ses épaules et en s’accroupissant face à son petit frère pour être à sa taille.




Après deux respirations supplémentaires, Josh se redressa et lui tendit  un truc un peu brillant sans dire un mot. Curieuse, Jude tendit la main pour recevoir l’objet, qui raisonna chaleureusement dans sa paume.

Tous les Summers avaient le même pouvoir. À la différence prêt du niveau de maitrise. Josh maitrisait pas encore bien le sien, mais ça viendrait. Elle déplia ses doigts pour y découvrir un bout de métal. Il était un peu cabossé, et pas bien rond. Il méritait encore quelques détails en plus mais il était… Content ? Ouais, étrange. Le métal était content de pas avoir cette forme parfaite, de pas être travaillé au détail près. Et Jude sourit alors que la fraicheur physique de la pièce contrastait avec la chaleur que le fer lui faisait sentir. Elle sourit.





Elle leva un sourcils mais s’exécuta. De l’autre côté de la pièce, il y avait sa spirale .Elle était pas bien droite non plus, mais on la devinait bien. Toujours la même à quelques détails prêt. Ouais, c’était la spirale de son petit frère. Le sourire de Jude se fit plus tendre.




Elle mit le bout de métal précieusement dans sa poche et tendit les bras pour que son petit frère vienne se loger dedans. Il y avait tant d’ écart entre les deux enfants Summers. Tant de différence, tant de divergences. Et pourtant, Jude aimait tant son petit frère. Peut être qu’il le sentait, le vent qui tournait. Il ne dit rien de plus et quand Jude le lâcha, Josh lui fit un petit signe de la main avant de retourner vers le bâtiment de la forge, qui fumait encore.

Jude retourna dans la grange, inspecter sa moto rutilante, Joshua ne viendrait pas avec elle ce soir.

Le lendemain matin, elle était partie.
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Jude fixait la photo, prise à son retour de la ferme des Sanders. Ses yeux s’étaient gonflés, et ils piquaient. Son cœur, serré, semblait comme trop gros pour sa poitrine.

S’il en avait eu l’occasion.

Il n’en a jamais eu l’occasion. Et ne l’aurait plus jamais. Elle le comprit. Pas besoin d’en dire plus. Une première larme roula sur sa joue, lentement, venant s’écraser sur le sol lisse de l’atelier. Dans son autre main, elle tenait la pièce. Celle là était parfaite, pas une seule cabosse, pas un seul creux. La spirale était régulière, comme voluptueuse. Mais la même chaleur s’en dégageait. Elle le serra fort dans la paume de sa main, dépassant Alaska sans lui jeter un seul regard. Elle la suivrait de toute façon. De son pas vif, elle sorti de son atelier pour rejoindre l’espace de vente et bifurqua directement à gauche vers la porte de son bureau, qu’elle ouvrit, laissa béante  sans penser à empêcher Alaska d’entrer. Rapidement, elle fit le tour de son lourd bureau de chêne et posa avec autant de délicatesse que si elle tenait un chaton dans les mains, la photo et le porte clé, avant d’ouvrir le plus petit tiroir et d’en sortir une boite métallique à moitié rouillée.

Sa main tremblait, et les larmes s’accumulaient dans le coin de ses yeux, coulant sur ses joues en une pluie de souvenirs. Elle ouvrit la minuscule boite, et déplia le tissu. Elle ne sortit pas la pièce cabossée, rouillée par le temps, usée et vieillie qui y sommeillait. La relique dormait dans sa boite métallique depuis plus de cinquante ans. Quand elle avait commencé à s’abimer, Jude l’avait installé là, et ne l’avait plus jamais sortie, de peur de l’endommager plus encore, ou de la perdre. Au chaud, la pièce imparfaite avait continué à rouiller, mais moins vite et si aujourd’hui elle était fragile, elle restait entière.

Le visage de la mécano finit par se déformer alors qu’elle laissait ses sanglots éclater. Joshua n’aurait plus jamais l’occasion de lui confier une nouvelle pièce. Elle prit appui sur son bureau d’une main, l’autre se serrant contre son abdomen en une tentative désespérée de distraire sa douleur. Le poids des années alourdissait son cœur et ses épaules, Jude oublia qu’elle n’était pas seule. Peut importait. Elle ne parvint pas à calmer ses larmes. La tornade lui déchiquetant les entrailles venait avec autant de questions qu’elle était incapable de formuler. Comment ? Quand ?

Pourquoi c’était une Stonegold qui venait lui donner ça ? Pourquoi une enfant comme cette Alaska ? Qu’avait il fait, si longtemps ?

Tant de questions, noyées dans le torrent salé tombant sur ses joues et son tapis.

Un millier de fossés s’ouvraient dans sa poitrine, alors que ses entrailles lui brûlaient d’un feu de désolation. Si elle était capable de résonner, elle aurait été étonnée de la violence de sa réaction. Après tout, c’était elle qui avait instauré cette distance entre son petit frère et elle. Peut être était-ce la honte de s’être tenue éloignée de lui si longtemps qui jaillissait comme un torrent de lave ?  

Mais Jude n’était plus capable de réflexion. Elle penserait plus tard aux courbatures de ses joues de s’être tenues tordues. Ses paupières collaient à cause du trop plein de larmes et de sel. Elle sentait ses poumons se serrer et l’empêcher de respirer comme elle aurait du normalement le faire. Sa main, toujours serrée contre sa poitrine, appuyait contre son sternum, comme pour encourager sa respiration à reprendre, mais Jude peinait. Tant qu’elle ne faisait plus attention à la blondie qui avait posé la main sur son épaule. Elle ne sentait même plus ce contact qu’elle aurait, d’ordinaire, repoussé avec nonchalance. Un étau géant serrait son corps, la privant de sensations extérieures. Et c’était parce qu’elle se sentait à peine toucher le sol, qu’elle pris l’effort de se diriger  vers le sofa, d’un pas hésitant, titubant, avant de s’y asseoir comme s’il allait s’écrouler sous le poids soudain devenu lourd de la mécano.

La voix de la blonde la ramenait peu à peu dans la réalité difficile, alors que le haut de Jude était trempé par ses larmes.  L’une des bretelles de son bleu de travail était tombé de son épaule, et tombait mollement sur son bras, Jude ne la remis pas en place. Dans sa main serrée, elle tenait toujours le porte clé, dans l’autre la photo. Elle qui avait totalement oublié son existence, comment aurait-elle pu croire que Joshua l’aurait gardée tout ce temps ? Et pourtant… pourtant il avait eu avec lui l’unique photo que ses parents avaient daigné faire de leurs enfants ensemble.

Mais ce sont les derniers mots de la blonde qui firent revenir Jude entièrement dans la réalité. Alors qu’elle prenait pleinement conscience du sofa sur lequel elle était assise, de l’odeur de café froid qui sortait de la machine, de son fauteuil bousculé, de la porte du bureau grand ouverte et … Et de la Stonegold près d’elle.

Son regard se fit bleu glace, alors que sa dragonne émergeait. Elle n’autorisait personne à entrer dans son bureau, pour autant elle ne mit pas la blonde dehors.


Une question répétée, qui était cette fille qui connaissait son frère ? Pourquoi était-ce elle qui venait lui apporter ce peu de reliques ? Qu’avait été Joshua pour elle ? La voix de Jude était rendue rauque par tous les sanglots qui l’avaient secoué ces dernières minutes. Elle ne lâchait toujours pas ses trésors, les tenant près d’elle comme si sa vie en dépendait. Et ses yeux perçants fixaient la blonde.

Le métal gelé pulsait dans sa paume, comme le battement d’un cœur qui n’était pas le sien. Jude  ne desserrait pas ses doigts. Elle n’avait jamais emmené son petit frère avec elle, et n’était plus jamais allé le revoir. Elle ignorait à quel point ses parents avaient étendu leur emprise sur leur fils. Mais… s’il se trouvait au milieu de Stonegold… alors peut être avait il réussi là où Jude n’aurait fait qu’échouer…

Elle avait encore moins tenue à être au courant de la vie de ses parents. Mais depuis le temps, nul doute que ces deux là étaient mort depuis belle lurette. Avaient-ils pu être fiers de leur fils ? Avaient-ils pu regretter d’avoir abandonné leur fille ? Depuis plus d’un demi-siècle, Jude ne se posait plus la question. A quoi bon après tout, elle était là, et eux étaient partis. Finalement, blondie lui répond.

Contrairement à ce qu’elle aurait pu croire, elle était sa... filleule ?  Cela signifiait-il que Joshua n’avait que les Stonegold comme famille ?  Jude ne répondit pas, l’information, en ce temps difficile, était dure à assimiler. Tout venait d’un coup, alors que la mécano s’était attendue à finir ses longs jours sans plus jamais entendre parler des autres Summers.

Blondie continua. Un carton ? Jude allait dire de le garder, par réflex. Après tout, elle avait rompu les liens il y a soixante ans, et cette jeune fille semblait bien mieux le connaitre que sa propre sœur… Mais Jude ne pu s’y résoudre. Une curiosité naquit, là où pendant des décennies, elle n’était jamais apparue.

Les larmes coulaient de moins en moins sur les joues humides de la dragonne. Finalement, le visage crispé par toutes ses émotions, Jude se leva, espérant que la blonde la suive. Elle se rendit dans l’espace de vente, afin d’y faire pivoter le panneau « open » ventousé à la porte, pour qu’il affiche « closed » de l’extérieur. Dans le même mouvement, elle enclencha l’interrupteur à côté de la porte d’entrée et dans la pluie battante du dehors, la gigantesque enseigne à l’entrée du parking s’éteignit.

Jude ne travaillerait pas aujourd’hui.

Elle désigna le sofa inspiration chesterfield vert sapin qui reposait contre l’un des murs de l’espace de vente, face à sa demi-dizaine de motos exposées au mur, invitant Alaska à s’y asseoir. Il fallu beaucoup de temps à Jude pour trouver des mots. Temps durant lequel elle verrouilla son bureau, et alla dans la cuisine de l’arrière-boutique pour y faire couler deux cafés dans des mugs inspiration pop-culture. Sa mine toujours dure, elle déposa ses trésors précieux sur le comptoir, avant de saisir les tasses et de se rediriger vers le sofa. Alors elle prit la chaise de bureau et la fit rouler en face de Alaska, avant de poser le mug à côté d’elle sur le petit guéridon, et se pousser un long soupire douloureux, les coudes sur les genoux, le front posé sur ses mains. Alaska voulait faire quelque chose pour elle hein ? Jude releva la tête.  Bien qu’elle ignore pourquoi Alaska avait compris que Jude était la Jude et non pas une descendante, il fallait éviter que le bruit ne coure.


Elle ne lui laissait pas le choix. Jude n’était pas très puissante, mais surtout parce qu’elle n’avait pas cherché à l’être. S’il était particulièrement stupide de se mettre les Stonegold à dos, elle le saurait, si Alaska laissait l’information circuler. Qu’une personne totalement inconnue jusqu’ici sache que la mécano était  « immortelle » était déjà problématique, mais cela pouvait s’arrêter là. Elle fixa la blonde d’un air entendu avant de récupérer son mug et d’y prendre une large gorgée de café brûlant. En même temps, son visage s’adoucit un peu, reprenant l’air nostalgique qu’il arborait un peu plus tôt. Elle ne regarda plus la jeune fille, son regard était perdu dans le vide.


Elle ne le connaissait pas tellement, à vrai dire. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il avait huit ans. Il en avait fait du chemin depuis… quel était sa relation avec les Stonegold ? Pourquoi avait-il fini parrain de l’une d’entre eux ? Avait-il pu développer son pouvoir ? Elle avait dit qu’il était un héros… elle voulait savoir pourquoi.

En guise de réponse, la Stonegold hocha la tête, comprenant l’impératif de l’exigence de Jude. Elle n’avait jamais consacré sa vie en forme dragon, son immortalité n’était pas justifiée, et elle n’avait vraiment, mais alors là vraiment pas envie que le bruit court. Au final, que son frère ne soit jamais venu la voir était une bonne chose. Il n’aurait probablement pas compris la situation de la mécano. Qu’il soit … mort, avec cette ignorance là était une bonne chose. Jude ne regardait plus Alaska, perdue dans ses souvenirs. Cela ne l’empêchait pas d’écouter plus qu’attentivement ce que la blonde était prête à lui dire. Elle finit par parler, et on pouvait presque percevoir l’admiration dans sa voix, tandis que Jude était cantonnée à cette image d’un petit garçon de huit ans en tenue de cow-boy.

Il était étrange de penser à lui ainsi, mais au final il était devenu cet être bon qu’il voulait être, tout en obtenant l’influence que ses parents voulaient qu’il ait. Jude sourit à cette pensée, c’était une victoire pour leurs géniteurs, mais apparemment cela n’avait pas déplu à son frère.

Un formidable dragon, cela ne l’étonna pas, il s’était tant donné pour cela. Aurait-il pu devenir plus ? probablement. Sans l’interrompre, Jude écouta tout le discours de la blonde, mais quand vint le passage de Dark Dragon, la main de la mécano se serra sur sa tasse, et elle l’aurait probablement brisée avec cette force  si elle ne l’avait pas posée sur le guéridon. Cette putain de guerre aura tant couté à leur monde, et Jude tenait ces grandes familles pour responsable. Elle ignorait si c’était véridique ou non, mais elle s’en fichait comme de l’an trente. Elle serra les dents, s’empêchant de dévoiler sa pensée, consciente que la blonde, qui avait l’âge d’être sa petite fille, avait probablement perdu plus de proches que simplement son parrain dans cette guerre.

Du coin de l’œil, elle vit Alaska rapprocher sa main, Jude ne s’en saisit pas, et la laissa continuer, jusqu’au moment où elle posa la question qu’il ne fallait pas poser.

Jude se releva, faisant le tour de sa chaise pour mettre de la distance avec la blonde. Elle lui tournait le dos, confiante quant au fait que la Stonegold ne lui ferait rien aujourd’hui.


Car après tout, il ne méritait pas une famille comme celle qu’il avait eu. Une sœur qui est partie si tôt, des parents exigeants, durs et assommants. Elle détourna le regard, alors fixé sur sa MG, pour tourner la tête et apercevoir la blonde derrière elle, la regardant du coin de l’œil.


Elle avait failli dire « ses parents », montrant à quel point elle ne les considérait pas comme sien. Il avait eu toute leur attention et leur amour, et sans doute que leurs points de vue divergents aurait été source perpétuelle de conflits si Joshua avait réussi à établir un contact.  La jeune Stonegold avait probablement connu si bien son frère qu’il en était devenu un membre à part entière de sa famille, ce n’était pas pour autant que Jude se considérait proche de la blonde. Elle avait perdu le sens du mot famille depuis des décennies  à présent, et si elle pouvait être nostalgique de cela, elle n’en cherchait pas une de substitution. Surtout pas chez cette famille.


Cela lui semblait juste. Après tout cette fille avait le mérite de s’être attachée à un Summers, chose qui n’était pas facile vu le vécu que Jude avait avec ses exemples, et ses propres attaches. Si la mort de son frère la bouleversait, elle n’en montra plus rien. Presque soixante années s’étaient écoulées entre son départ et aujourd’hui. Son deuil avait été fait il y avait longtemps déjà. En tout cas deuil bien assez avancé pour que la mécano ne souhaite pas plus que ça l’exposer face  à la blonde. Néanmoins elle ne pu garder sa prochaine question pour elle.

Au grand soulagement de la brune, Alaska n’insista pas sur le sujet parental. Cela sembla même lui passer au-dessus dès que Jude exprima son refus. Tant mieux. Il fallu quelques minutes à Alaska pour répondre à la question de Jude. Cette dernière n’avait jamais senti la nécessité d’aller sur la tombe de ses parents. Mais son frère, c’était différent. Il avait certainement grandi, il avait changé, il s’était forgé seul, puis avait trouvé un cadre familial où il aimait, et où il était aimé. Une famille qui vaille la peine de se sacrifier, qui vaille la peine de donner sa vie pour sauver les autres. Une famille qui en vaille la peine comme ça, Jude n’en avait jamais eu, probablement n’en aurait elle jamais. Mais…

En y réfléchissant, il y avait bien une personne, pour qui Jude se sacrifierait, mais… Cette personne l’ignorait sans aucun doute, et s’en ficherait probablement aussi.

Au bruit d’un carton qu’on pose sur une table, Jude se retourna, observant de loin la blonde fouiller dans ce qui était certainement les affaires de son parrain. Alors qu’Alaska ouvrait délicatement les battants, comme si le carton était fait de plumes qui risquaient de tomber au moindre contact, elle rassura Jude quant à la tombe de son frère. Elle hocha la tête en guise de réponse. Elle ne savait pas si elle se rendrait sur la tombe, cela lui ferait sans doute bizarre, de pleurer quelqu’un pour la première fois en si longtemps. Au final, la malédiction que cette salope de Vanessa lui avait lancé, cinquante-deux ans plus tôt, commençait à atteindre ses objectifs. Jude expérimentait la mort de ses proches, de ses êtres aimés , tout en subissant la fatalité qu’elle serait constamment en vie, en bonne santé et vivrait des décennies seule.

Sortant de ses rêveries, Jude observa de loin la blonde fouiller dans le carton, sortant un objet que la mécanicienne mit du temps à identifier. Elle finit par plisser les yeux, un sourire reflétant les souvenirs passés fendant son visage.


Elle avait travaillé très longtemps, dans un bar nul, mal famé et fréquentés par des hommes à la main trop baladeuse. Payée une misère – il fallait dire à l’époque pour une femme, c’était déjà exceptionnel d’avoir trouvé un travail, surtout à l’âge de Jude- Pour lui offrir un vrai, véritable et flambant neuf chapeau. Il avait découvert cette passion six mois avant son anniversaire, et ne lâchait plus sa famille avec ça. Si ses parents l’avaient laissé faire, probablement aurait-il réellement fait en sorte de devenir Cow-boy, dans un ranch quelque part dans le Montana.

Jude s’approcha, réduisant la distance avec la Stonegold pour prendre le chapeau, délicatement entre ses mains. Aussi doucement qu’on tenait un bébé chat dans le creux de sa paume.  Une fois l’objet tenu, elle recula à nouveau d’un pas, l’observant, une vague de souvenirs déferlant dans sa mémoire. D’une main, elle caressa le feutre usé et terni. La qualité des chapeaux d’antan n’était plus à démontrer. Elle remarqua qu’une couture avait été refaite, elle rit en silence. Joshua n’était donc pas doué pour la couture. Les cordons destinés à maintenir le chapeau autour du cou en cas de coup de vent avaient été changés également, mais le chapeau lui était toujours le même. Le chapeau avait été trop grand pour lui, la mécanicienne avait fait exprès, pour qu’il le garde le plus longtemps possible. Alors pour qu’il tienne sur sa tête, le chapelier avait installé à l’intérieur un cercle de feutre plus petit, qui ne se voyait pas de l’extérieur.

Elle leva un sourcils, puis retourna le chapeau pour regarder à l’intérieur. L’écusson du fabriquant était toujours là, mais le petit cercle lui, avait disparu.  Il l’avait véritablement porté longtemps… Probablement jusqu’au jour où sa position ne le lui permettait plus. Jude ignorait encore où elle rangerait la relique, mais il était certain qu’elle le garderait avec elle. Elle releva les yeux, de nouveau humides ,vers la blonde.


Et même s’il restait dans ce coffre, une relique de leur enfance, la brune n’y jetterait plus un œil, elle n’avait pas tant de droits envers un frère qu’elle avait abandonné.