I had a dream I got everything I wanted ♦ odalie & alaric iii

« Tu chauffes. »

Sa main se déplace d’un placard sur la droite, mais en l’ouvrant, il se rend bien vite compte qu’il n’y est toujours pas. Il ne cherchait pas du tout à trouver les tupperwares, bien que ça puisse amplement faire l’affaire s’il ne trouve vraiment pas. Alors il se décale d’un placard de plus, sous le rire moqueur d’une Odalie bien trop fière de le laisser galérer.

« Eeeeeet tu chauffes plus. »

Le soupir qui quitte les lèvres du zouwu emplit toute la pièce. Le pire, dans toute cette histoire, c’est bien le fait qu’il puisse sentir qu’Odalie prend son pied, assise sur le comptoir derrière lui à lui donner des indications parfaitement évasives et qui se contredisent même parfois. Quand il se retourne vers elle, Alaric secoue le paquet de céréales qu’il tient dans sa main, plongeant l’autre dans le sachet rempli de fruits secs, de blé et d’avoine.

« Tu sais, si tu veux vraiment que je mette le lait directement dans la boîte pour manger le paquet entier, suffit de le dire. »

Tout ce qu’il demande, c’est un simple bol. L’opportunité d’être un minimum décent, derrière sa barbe mal rasée, ses yeux rouges et ses cheveux encore mal en points. Ça ne fait que quelques jours qu’il vit chez Odalie, et les séquelles de ses addictions sont encore là. Visibles dans la difficulté qu’il a à s’habiller le matin. Dans sa main tremblante tandis qu’elle saisit le paquet.

Il pourrait dire qu’Odalie tire sur ses nerfs déjà à vif, à le faire tourner en bourrique de la sorte.
La vérité, c’est qu’il ne s’est plus senti aussi vivant depuis des années.

Colton

Colton. Bien sûr que Colton faisait ça, puisqu’Alaric se comporte de manière tout à fait ridicule.

Alaric est capable de réciter du tac-au-tac toutes les pathologies correspondantes à certains symptômes et peut réduire la liste sans aide-mémoire. Il a pu retenir plusieurs langues, des dizaines de partitions qu’il jouerait les yeux fermés si on le lui demandait.

À croire que ce n’est pas Alaric, là, qui se tient devant Odalie à ne toujours pas savoir trouver un bol. À croire qu’il prend des airs plus pitoyables que jamais. Que son cerveau est complètement rongé, sans espoir de retrouver son ancienne santé.

« Ça va, je rigolais de toutes façons. » Il pose le paquet, laisse Odalie tendant son bol alors qu’il quitte la pièce, soudainement refroidi. « J’avais pas vraiment faim, c’était pour te faire marcher. »

Il n’a pas la force d’admettre son problème. Pas cette fois, pas encore, pas comme ça.

Il préfère prendre la porte, sortir respirer un peu d’air frais à défaut de pouvoir respirer ses toxines habituelles.

Lunatique, acariâtre, Alaric n’est qu’un reflet de sa gloire passée et il ne se reconnaitrait même pas lui-même, dans ces moments où il réagit trop fort, trop vite, trop en décalé par rapport à sa réalité habituelle.

Un champ de coton et de tulipes n'est pas l'endroit idéal pour jouer un concerto. L'accoudtique est mauvaise, la musique n'a aucune paroie sur laquelle glisser, et les spectateurs sont uniquement le vent et les insectes qui bourdonnent doucement entre les fleurs.

Trois personnes, ce n'est pas assez pour un concerto, de toutes façons. Pourtant, là, dans ce champ de coton, de tulipes, de maïs et d'orgeat, ils arrivent partaitement à jouer. Alaric, Odalie et Marisol. Ils n'ont pas besoin de plus, finalement, pour créer leur morceau de bonheur.

Pourtant, Odalie arrête de chanter, et à la place, elle lui dit de se réveiller.

Quand il ouvre les yeux, il a la chaleur de son corps contre son dos et la douceur de son souffle dans ses cheveux. Avant même d'ouvrir les yeux, il se retourne. Ainsi, la première chose qu'il peut admirer à son réveil est le regard le plus profond et intelligent qu'il lui ait été donné d'observer.

« Hilfe, eine Meerjungfrau ertränkt mich in ihrem Blick. » Sa voix est éraillée tant par le sommeil que par le rire discret qu'il se tire à lui-même. Avec n'importe qui d'autre, il n'aurait jamais tenté cette approche. Avec Odalie, ça lui vient pourtant naturellement, tout en sachant pertinemment qu'elle va de moquer de lui, et qu'il en tirera une étrange satisfaction. « Je crois qu'on devrait essayer de jouer dans un champ de coton. Ce serait incroyable. »

Les doigts d’Odalie glissent sur la mâchoire et pourraient bien emporter avec eux le masque du zouwu. Il ne lui suffirait que d’une pichenette pour y parvenir, en fait.

Cette pichenette, elle prend des airs de supplication dans le regard comme dans les mots de la sirène, abattant toutes les défenses d’Alaric. Elle s’inquiète, il le sait, il le voit bien. L’évidence est tout autour d’eux, elle est dans les émotions qu’il capte de plus en plus provenant de sa meilleure amie. Alors pendant une seconde, le masque tombe. La douleur constante, la lutte interne d’Alaric contre ses propres démons, tout passe par son regard, dans une seule étincelle qu’il se force pourtant à éteindre aussitôt.

Il sait qu’il devrait pouvoir tout lui dire. Alors pourquoi il ne le fait pas ? Peut-être par lâcheté. Parce que parler de ses faiblesses, ce serait avouer qu’il est brisé, qu’il s’est fracassé le cerveau encore et encore et qu’il a l’impression qu’il n’en reviendra jamais, alors que les cauchemars continuent et le prennent d’assaut chaque nuit.

« Je peux tout te dire, sauf mes punchlines visiblement. »

La douleur est passée, elle n’habite plus son regard et a laissé place à un amusement seulement à moitié forcé ; un enfant joue de bon matin, deux étages plus bas, et Alaric éponge sa gaieté pour la faire sienne et enlever toute parcelle de tristesse.

« Ca va, Oda. Je dors pas très bien, mais ça va. » Il lui sourit, comme si ça pouvait effacer cet énorme euphémisme qui tient presque du mensonge. « Donne-moi encore un peu de temps pour m’habituer au canapé et je dormirai comme un bébé. »

Dans sa tête, Taylor Swift chante à tue-tête cette chanson qui ne veut pas quitter ses pensées. Pour un peu, il referait presque son concert s’il n’avait pas clairement conscience qu’il n’est pas seule dans cet appartement, à défaut de l’être dans la salle de bain. Il peut au moins se permettre de se remuer doucement sous l’eau brûlante en récitant les couplets dans sa tête.
Jusqu’à ce que la porte ne s’ouvre et qu’il remarque presque trop tard le courant d’air qui ne peut vouloir dire qu’une chose : Odalie prend le droit de rentrer quand bon lui semble. Il n’a même pas l’ombre d’un doute qu’il s’agisse d’elle, puisque Marisol aurait au moins toqué. Normalement.

« Les miracles sont partout autour de nous, Oda ! »
Il se permet de rire, parce que c’est vrai que dans sa situation, une douche aussi spontanée peut avoir des airs de miracles. Il se sent étrangement bien, pour le moment. C’est dans ces moments-là qu’il essaye de rattraper les jours entiers qu’il perd à souffrir, à attendre, à grogner. Cette fois-ci, tout ne peut commencer que par une douche bien méritée.

D’humeur joueuse et musicale, il tend alors une main à sa sirène adorée, comme s’il n’avait pas été la pire larve possible depuis des jours.
« Je me pousse seulement si tu m’accompagnes, j’ai du Taylor Swift en tête, et j’ai besoin de shake it off. »
Une lubie parfaitement normale, également représentative de son état mental, mais comment Odalie pourrait-elle dire non à ce sourire brillant et toute l’assurance du monde que, pour cette fois, tout va bien ?

Le choc le prend de court. Il aurait dû s’y attendre, à une attaque surprise, quelle qu’en soit la forme. Mais il a été naïf, il s’est laissé faire et, la bouche entrouverte d’étonnement, il fixe Odalie avec un air presque outré. Pas bien longtemps, heureusement, parce qu’il retrouve son sourire dès qu’elle entoure sa nuque de deux bras agréablement familiers et que sa voix passe par-dessus le vacarme de la douche.

« ♫ Cause the players gonna play, play, play, play, playyyy ! ♫ » Il se joint volontiers à la danse, bougeant son corps avec une habitude remarquable et un lâcher prise absolu. Il pourrait bien glisser sur le carrelage humide de la douche, mais le risque en vaut le coup. « ♫ And the haters gonna hate, hate, hate, hate, hate. ♫ »

Il s’amuse, il s’amuse vraiment, et il se fiche bien de tout le reste. « ♫ Baby, I'm just gonna shake, shake, shake, shake, shake… ♫ » Sa tête bouge, ses hanches bougent, ses pieds bougent. Il relève la tête, pour pouvoir enfin chanter ces fichues paroles à tue-tête.

« ♫ I shake it off ! I shake it off ! ♫ » Avec Odalie pour faire les cœurs de cette partie, il finit par rire trop franchement pour pouvoir continuer de chanter, s’accrochant à grande peine à sa sirène pour ne pas tomber sous l’assaut de sa propre bêtise.


En sortant d’un énième entretient d’embauche, Alaric pourrait avoir l’impression que le soleil lui crache à la gueule tant la météo est pourrie et représentative de son état mental. Pourtant, il n’est vraiment pas d’humeur à se laisser faire par la vie. Il commence tout juste à se reprendre en main de manière assez erratique, alors il ne s’arrêtera pas en si bon chemin.

Rejoins-moi au Bayona à 20h30 tapantes, je t’invite.
Ses doigts volent sur le clavier de son smartphone assez vite pour ne pas laisser la pluie être un problème pour lui, avant qu’il ne lui prenne l’idée d’ajouter un deuxième message.
Et sors ta plus belle tenue, c’est pas une soirée comme les autres.

Ca l’amuse bien, de rester aussi vague alors que lui sait très bien que sa raison de célébrer est absolument merdique. Toujours est-il qu’il doit également se préparer ; au détour d’une ruelle, il ouvre un portail qui le mène directement dans la maison encore vide de ses parents, pour y trouver tout le nécessaire pour se faire aussi beau et classe que possible en prévision de ce soir.

L’attente est longue, mais il ne doute pas un seul instant qu’elle en vaudra la peine ; après tout, un dîner avec Odalie est toujours une expérience. Il n’y a pas de meilleur moyen de le décrire, pour lui qui est un peu trop habitué à la voir briller en toutes circonstances. C’est cette habitude qui lui sauve la vie lorsqu’elle pose une main sur son bras et attire finalement son attention.

Divine ne rendrait pas justice à la sirène tant il est évident qu’elle ne laisse que des regards subjugués dans son sillage. Alaric lui-même ne doit son salut qu’à une routine bien travaillée et sa capacité à tirer un sourire charmeur sur son visage en toute situation. Même lorsqu’il doit jouer le jeu alors qu’Odalie a suivi ses instructions à la lettre en ayant sortie une tenue qu’il n’avait pas encore eu le bonheur de lui connaître.
Il ne se plaindrait pas s’il lui venait l’occasion de la lui enlever ce soir.

Ce n’est pas la préoccupation du moment, cependant. D’un geste, il se laisse tourner sur son tabouret de bar rotatif et se lève d’un même mouvement, aussi dramatique qu’il en a l’habitude.

« Mademoiselle Maelström, j’imagine. En vous voyant je ne peux qu’espérer qu’il s’agisse bien de moi. »  La main qu’il lui tend l’entraîne ensuite dans un baise-main des plus doux. En dépit de son léger surjeu nécessaire à sa propre survie, il insuffle dans ce simple geste toute l’affection qu’il porte à la sirène dont il accroche malicieusement le regard. D’un rire léger, il se reprend en complétant : « Je vous demande pardon, je sais habituellement mieux me comporter. Je peux quand même vous assurer avoir réservé la plus belle table possible pour ce soir, si vous voulez bien… »

Sa main l’attire lentement, sans trop insister, comme s’il ne la connaissait encore que trop peu et qu’il retrouvait lentement l’usage de ses neurones. Là-haut, à l’étage, un petit coin de paradis et de verdure les attend pour un premier rendez-vous des plus délicats.

Comment ne pas relever les airs romantiques de la scène que découvre Alaric lorsque la sirène se penche contre la rambarde et laisse l’horizon englober son corps pour faire d’elle la pièce maîtresse d’un tableau que les plus grands peintres ne pourraient que rêver d’égaler ? Il n’y a personne d’autre pour qui il sortirait un aussi grand jeu, personne qui n’est resté dans sa vie assez longtemps pour qu’il lui offre tout ce qu’il a à donner.

Personne d’autre qu’Odalie, pour laquelle il irait cueillir la plus belle des étoiles si elle l’autorisait dans ce pan de sa vie. À la place, il lui offre ces instants dérobés, ces scénettes jouées qu’il ne souhaiterait échanger pour rien au monde. Si c’est là la seule chose acceptable qu’il puisse vivre avec elle, il l’acceptera à bras ouverts et continuera à jouer le jeu jusqu’au bout.

« Absolument pas. À vrai dire, j’attendais une très bonne occasion de le découvrir. Je sais déjà que je n’aurais pas pu rêver de meilleure compagnie. » Toujours ce même jeu, toujours ce charme pourtant bien différent de celui qu’il utilise avec les autres, avec ceux qui habitent ses soirées mais pas ses journées. « J’ai par contre eu amplement le temps de me familiariser avec la carte. Je miserais tout sur leur champagne rosé, pour commencer. »

D’un geste maîtrisé par habitude de l’avoir répété encore et encore, il fait glisser la carte juste sous ses yeux, laissant son doigt glisser sur le nom de la bouteille en question. Pourtant, c’est bien son regard qu’il espère accrocher avec ses yeux encore légèrement rieurs. « Peut-être qu’on pourrait essayer de se tutoyer ? »