La journée était relativement calme. J’avais dû me déplacer au niveau du bassin des loutres un peu plus tôt dans la matinée mais ce n’était que pour un détail. Disons qu’un de nos pensionnaires avait été blessé en jouant avec un autre et mon avis avait été requis. Si certains savaient que je suis une zouwu, je me demande bien comment ils réagiraient. Mais pour le moment, ils sont quasiment tous à se dire que si je connais aussi bien les pensionnaires ici, c’est parce que cela fait déjà plusieurs années que je travaille ici et qu’avant de gérer tout ce petit monde, j’ai été à leur place. Alors personne ne se pose vraiment de question, ils ont juste tendance à supposer que je connais les pensionnaires à force de les côtoyer. Et ce n’est un secret pour personne que j’ai une affinité toute particulière avec nos loutres ! Parce qu’avant de gérer l’équipe, c’est sans doute moi qui m’en suis le plus occupée à partir de la fin de la guerre. Mais comment voulez-vous résister à ces bouilles d’amour de toute façon ? Elles sont tellement adorables... Et puisqu’elles me connaissent, je n’ai aucun mal à pouvoir les examiner comme je le souhaite. Enfin pour en revenir à notre petite loutre blessée, il se trouve que ce n’était rien de grave. J’ai tout de même demandé à ce qu’elle soit particulièrement surveillée, pour éviter de rencontrer ses soucis à l’avenir. Il ne faudrait pas que la blessure s’aggrave ! Mais pour le moment, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter ou même de devoir l’isoler de ses congénères. Cela m’aurait fendu le cœur de devoir l’isolée... Je serais venue la voir tous les jours me connaissant.

L’après-midi était pourtant un peu plus mouvementée. Je vérifiais s’il n’allait pas nous manquer quelque chose, surveillais si nous n’avions pas besoin de faire intervenir un vétérinaire spécialisé pour certains... Quand on m’appela pour m’informer qu’il semblait y avoir un problème avec un de nos requins. Ce n’était jamais bon signe quand on m’appelait comme ça. Ou alors c’est que le doute était trop grand pour qu’on puisse être fixé et que, là encore, mes compétences et mon expérience étaient requises. Sans avoir plus de détail, je m’étais retrouvée à courir dans l’aquarium pour rejoindre les coulisses du bassin aux requins. Effectivement, il y en avait un qui se trouvait à l’écart des autres. Un des soigneurs était déjà équipé et prêt à plonger. Bon sang, je déteste devoir faire ça... Je préfère de très loin quand je suis seule et que je peux prendre une forme animale. Mais cette fois, j’avais tout intérêt à éviter... Me voilà donc à devoir m’équiper pour de la plongée. Il fallait surtout qu’on reste le plus discret possible, pour que les visiteurs de l’aquarium ne remarquent rien de suspect. Mais ça, j’en avais l’habitude malgré tout. Bon, cette fois les nouvelles n’étaient pas aussi engageante que ce matin. J’avais beau faire le tour de l’aiguillat, je ne remarquais rien de louche. Mais je sentais quelque chose n’allait pas. Je ressortis rapidement de l’eau. “Celui-là, on va devoir l’isoler. Je vais voir pour faire intervenir quelqu’un rapidement, qu’on puisse savoir ce qu’il a.” Sans savoir ce qu’il avait, on ne pouvait pas risquer qu’il contamine les autres.

Une fois débarrassé de l’équipement de plongée, je repris la direction de mon bureau. Il fallait que je m’occupe de cette histoire rapidement. Pourtant, je me stoppais nette. Il y avait comme de l’électricité dans l’air. Et évidemment, je ne pouvais pas faire taire cette sensation. Je vis alors un couple avec un enfant, face à une autre personne. Celui qui semble être le père du petit ne m’a pas l’air commode... Mais il commence à gêner les autres visiteurs. Lâchant un soupir, je m’interpose. Je vous laisser imaginer le ridicule de la situation : un petit bout de femme d’à peine. “Je peux vous aider ?” Evidemment, le type commence à s’énerver contre moi, me disant que la personne que je tente de protéger est tarée et encore, je vous passe les insultes. Je commence alors à froncer les sourcils. D’accord, avec lui ça va être compliqué... Je plonge alors mon regard dans le sien. [Lancer de dé : réussite critique] “Monsieur, je vais vous demander de vous calmer. Vous ne voudriez pas que je sois obligée d’appeler quelqu’un de la sécurité, n’est-ce pas ?” Et voilà que l’homme se calme et commence à bafouiller avant de tourner les talons avec femme et enfant. Une fois qu’ils étaient assez loin, je lâchais un petit soupir de soulagement, sentant tous mes muscles se détendre. J’ai beau ne rien avoir contre les humains, certains peuvent être particulièrement complexes à gérer. Mais au moins, j’avais pu le gérer en douceur. C’était sans doute moins traumatisant pour petit que de voir une de nos armoires à glace de la sécurité et personnellement, je préférais largement ça. Je me tournais alors pour faire face à l’autre personne qui s’était retrouvée dans cette altercation. “Tout va bien ? J’espère qu’il n’a fait que crier et n’a rien fait d’autre...” Il n’aurait plus manqué que ça pour le coup !

A la réaction de la personne qui me fait face, je me retrouve à froncer les sourcils. C’est si drôle que ça de lui demander si tout va bien ? J’attends pourtant le retour en calme, sans m’insurger. Je croise tout de même les bras sous ma poitrine, un peu déroutée par une telle réaction. A la voix, je comprends que je fais face à une femme. En même temps, avec un physique comme le sien ce n’est pas toujours évident de savoir ce qu’il en est. Enfin je ne vais pas m’en formaliser, chacun et libre d’être qui il veut. En tant que zouwu aimant prendre des formes félines, je serais mal placée pour critiquer ! Encore moins sachant que je m’efforce d’être majoritairement sous une forme de tortue des Galapagos dans le seul but d’allonger mon espérance de vie pour la doubler. Pourtant, certaines formulations me font tiquer. Manger des humains ? Cousin requin ? Ce n’est pas bien compliqué de comprendre ce qu’elle est, même si un léger doute persiste. Je ne peux en revanche pas laisser passer ce type de comportement. Les surnaturels ont déjà une image assez négative comme ça, il ne faudrait pas qu’on pense qu’on commence à s’en prendre aux humains pour le coup. Enfin ce qui me gêne le plus, c’est sans doute qu’elle ait pu s’en prendre à un enfant. Certes, les enfants humains ne sont pas toujours les plus respectueux du monde marin. J’en ai vu plus d’un se coller aux vitres, tenter d’attirer l’attention des poissons ou autre. Mais dans ces cas-là, il nous suffit généralement de le signaler aux parents quand on le voit et tout se passe pour le mieux.

J’allais m’apprêter à lui faire quelques remontrances quand elle me demanda s’il était possible d’aller nager avec nos requins. Surprise, j’écarquillais légèrement les yeux. “Euh... Non. Les seules personnes habilitées à aller dans les bassins font parties de l’équipe des soigneurs.” On ne peut pas laisser n’importe qui nager avec eux. Déjà qu’on essaie d’y aller le moins possible pour ne pas les perturber alors qu’ils nous connaissent... Mais son comportement me faisait me poser plusieurs questions. Enfin surtout une qui revenait, persistante : est-ce que j’étais face à une sirène ou un zouwu ? Mais je n’avais pas vraiment le temps. Voilà qu’elle me demandait quelle eau on utilisait... Avant de me lancer un regard presque suppliant pour me demander à aller dans le bassin. Je roulais alors des yeux face à ce regard. “Bon, venez avec moi. Il faut qu’on règle certains détails avant.” Je l’entrainais alors vers un endroit plus discret. Et le seul endroit vraiment discret ici, où personne ne risque de nous entendre, n’est autre que mon bureau. Je sais, ce n’est pas un comportement qu’on pourrait attendre de moi. Et je n’aime pas entrainer les gens comme ça à ma suite, je n’aime pas devoir prétexter quelque chose d’aussi futile pour pouvoir questionner en toute tranquillité. Mais il est hors de question que quelqu’un découvre ce que je suis. Je ne me cache pas depuis plusieurs années pour que la présence d’un autre surnaturel foute tout en l’air !

Je déverrouillais la porte avant de la faire entre dans mon bureau et l’invitais à s’asseoir. En lâchant un soupir, je m’installais directement sur mon bureau, pour être au plus proche d’elle. Je l’observais, tentant de comprendre. Mais évidemment, l’empathie ce n’est pas comme de lire dans l’esprit de la personne qui vous fait face. Et personnellement, j’ai dû apprendre à la brider pour ne pas me sentir submerger. Je plongeais mon regard dans celui de la jeune femme. “Carte sur table. Je ne suis pas une humaine et vu ce que vous venez de me dire alors qu’on était au niveau du bassin des requins, vous n’en êtes pas une non plus. Vous avez de la chance d’être tombé sur moi et pas sur un de mes collègues !” Ma voix était légèrement tendue. Je ne sais que trop bien ce que les humains peuvent nous faire subir. Au-delà du fait de ne pas être moi-même découverte, je n’aurais pas voulu que quelqu’un d’autre subisse les conséquences d’un tel langage. Personne n’est totalement à l’abri par ici. Plaçant mes paumes sur le plateau du bureau, je la toisais alors, tentant de deviner. Mais ce serait beaucoup plus simple de demander. “Alors ? Sirène ou zouwu ?” Je ne voyais pas trop quelle autre espèce surnaturelle aurait pu vouloir aller nager avec les requins... Même si je prenais sans doute un risque en posant la question de manière aussi abrupte.

Je n’aime pas devoir en arriver à de pareilles extrémités. Mais ce n’est pas comme si elle m’en avait laissé le choix ! Je ne venais pas de me forcer à porter une combinaison de plongée avec une bouteille d’oxygène juste pour le plaisir ! C’est même quelque chose dont je me passerais bien, un des détails de mon métier qui me font me dire que je vais finir par avouer à tout le monde ici ce que je suis. Evidemment, je me ravise rapidement parce que je crains toujours pour ma propre sécurité. Et c’est encore pire depuis l’élections de Cordelia Kane, je me méfie de presque tout le monde... Sauf avec certaines personnes, peut-être grâce à mon intuition féminine qui ne me trompe que rarement sur la nature des gens. Il suffit de voir avec Laszlo, les choses sont allées un peu plus vite que je ne l’aurai cru mais je ne m’étais pas trop inquiétée à la base. Et j’étais plutôt bien tombée finalement ! Mais là, il y avait des signes qui ne trompaient pas. Et aux vues du comportement de la jeune femme, j’avais l’impression de l’avoir prise au piège. Une idée qui n’est donc pas des plus agréables, je dois bien l’admettre. Entre son regard et le fait qu’elle m’appelle humaine... Je ne sais pas si je dois être rassurée que ce ne soit pas un de mes collègues qui soit tombé sur elle, m’inquiéter de ce qui aurait pu lui arriver ou même me sentir satisfaite de voir que je fais parfaitement illusion quant à ma véritable nature. C’est sans doute un peu des trois à la fois que je ressens dans le fond.

Il faut tout de même que je sache ce qu’elle est. Bon, au moins je suis rapidement fixée, je suis face à une zouwu. Une jeune zouwu en plus... Elle ne doit pas être plus âgée que Milo et Sören... Elle semblait sur la défensive, me balançait en pleine face qu’elle n’est pas une sirène. Jeune et ignorante de certains éléments... Elle semblait avoir encore beaucoup à apprendre. Je me détendis un peu. Elle était clairement terrifiée. Qu’est-ce qu’elle avait pu vivre pour finir dans cet état...? Mon cœur se serra dans ma poitrine. On va encore dire que je fais un transfert ou je ne sais quoi si je continue comme ça... “Bon, déjà, les sirènes n’ont pas toutes une queue de poisson. Mais je suppose que tu es trop jeune pour en avoir croisé auparavant.” Ce ne serait pas vraiment surprenant. A moins d’en avoir croisé, personne ne veut croire que les sirènes et tritons peuvent se balader parmi nous. Ce n’est pas comme s’ils venaient crier sur tous les toits ce qu’ils sont, tout comme n’importe quel représentant d’une autre espèce. Mais à la voir ainsi... Je me laissais glisser de mon bureau. Non, je n’allais pas risquer de l’approcher. Ça ne servirait sans doute qu’à la faire fuir encore plus. Et maintenant que je savais ce qu’elle était, je ne pouvais pas prendre le risque de la voir fuir. Je ressentais ses craintes et ça me vrillait l’estomac.

J’esquissais un petit sourire triste quand elle commença à me dire que je devais prouver ce que je suis et que je suis une menteuse. Je tentais de poser ma voix, de la rendre plus douce. “Je peux te montrer. Mais personne ne doit le voir. Donc, je vais verrouiller la porte. Je laisse la clé sur la serrure, que tu puisses partir facilement. Je te demanderais juste de fermer la porte en partant, j’aime autant que ma propre condition reste secrète.” Je me dirigeais lentement vers la porte pour la verrouiller, comme je l’avais indiqué. Il fallait que je prenne une forme animale. Mais je ne pouvais pas faire n’importe quoi. Je pouvais sans doute oublier la panthère. Bien trop gros vu mon propre gabarit ! J’optais donc pour le chat, prenant la forme d’un angora. Je me retrouvais dans mes vêtements devenus bien trop grand et m’en dégageais comme je pouvais en me secouais. Et finalement, je bondis sur le bureau et regardais la jeune femme en miaulant. Est-ce que cette forme allait être suffisante ? Je fis alors montre de mon talent. Descendant du bureau, je pris la forme d’un shiba inu avant de finalement arriver sur ma forme fétiche : celle de la panthère. Je plongeais mon regard dans celui de la jeune femme en m’asseyant sur le sol. Je me relevais avant de reprendre forme humaine. Bon, je n’avais pas particulièrement prévu de me retrouver nue devant une inconnue. Mais il avait bien fallu apporter des preuves de ce que j’avançais. Je commençais alors à me rhabiller. “Et pour ton information. Ce n’est pas la menace de la sécurité qui a calmé ce type, c’est moi. Libre à toi de me croire mais certains sont... Plus coriace on va dire.”

J’ai l’impression de me retrouver face à une enfant. Une enfant curieuse, qui pose beaucoup de questions auxquelles je n’ai même pas le temps de répondre. Il suffit de voir sa réaction quand je lui annonce que toutes les sirènes n’ont pas de queues. Elle ne voit que le côté aquatique, sans penser que les sirènes peuvent aussi vouloir venir sur la terre ferme. Pourtant, elle m’a dit avoir vu la petite sirène donc l’idée aurait dû lui traverser l’esprit non ? Mais je pense que pour le coup, elle était surtout inquiète, à se demander ce que je pouvais être. Je n’avais jamais été à sa place, je n’avais pas non plus croisé de zouwu, jusque-là, peinant autant à se fondre dans la masse des humains. Je me demande ce que les humains ont bien pu lui faire pour qu’elle devienne aussi craintive... On ne fuit pas les humains sans raison. Ceux qui ont tendance à les fuir, c’est parce qu’ils ont vécu un traumatisme violent. Ou alors qu’on ne leur a tout simplement pas appris à se fondre parmi eux. Personnellement, j’ai vécu mon traumatisme alors que je devais être déjà plus âgée qu’elle... Et on m’a toujours poussé à vivre en société dès le moment où j’ai été capable de contrôler mes transformations entre humaine et zouwu. Ça ne semble pas être son cas. J’en viens à m’interroger sur son passé, sur ce qu’elle a pu vivre... A me demander pourquoi elle semble avoir autant de mal à vivre en société. Et par-dessus tout, je me demande si je ne pourrais pas l’aider. Je sais, j’ai déjà pas mal de chose à gérer ! Mais je ne peux pas la laisser comme ça.

Mes quelques transformations animales semblent la convaincre. Son hochement de tête me fait comprendre que je peux revenir sous ma forme humaine et pour le coup, ça me rassure de ne plus risque de me faire prendre. Une fois rhabillée complètement, je déverrouillais la porte. Je n’avais plus besoin d’autant de sécurité, même si elle devait rester close pour le moment. J’aime autant ne pas prendre le risque qu’on nous entende parler de ce genre de chose. Je lui signale tout de même que si l’humain de tout à l’heure s’est retrouvé à bafouiller, c’est bien parce que j’ai utilisé mes talents et non pas la simple menace de l’intervention de la sécurité. Mais je n’ai pas le temps de souffler que les questions commencent à pleuvoir. Je suis un peu surprise, je dois bien admettre que je ne m’attendais pas à devoir faire face à tant d’interrogation. Les premières questions concernent notamment ma vie, mon emploi, les raisons qui me poussent à vivre de la sorte. Mais rapidement le sujet revient sur les requins de l’aquarium. Je constate en revanche qu’elle s’approche de moi, comme un animal craintif qu’on commence tout juste à apprivoiser. C’est assez étrange comme comportement pour quelqu’un disposant d’une apparence humaine. Je la laisse s’asseoir sur mon bureau est m’installe dans le fauteuil qui lui fait face. Ainsi, je me place en position de dominée pour beaucoup d’espèces animales. J’espère que ça la mettra un peu plus en confiance...

Elle fini par se présenter. Devon. Un simple nom, qui me permet pourtant de la connaitre un peu plus. Je tente tout de même d’apaiser son excitation. “Respires un coup Devon ! Je vais essayer de répondre à tes questions mais laisses moi un peu de temps !” Je me retrouvais à rire légèrement. J’avais l’impression de voir Sören quand il ne tenait plus en place...  Je devais tout de même commencer par me présenter. “Donc pour commencer : enchantée Devon, je m’appelle Lana.” J’évitais tout de même de lui tendre la main. Elle semblait commencer à se sentir un peu plus à l’aise, il ne servait à rien de la brusquer. “Tu semblais t’interroger sur les raisons de ma vie parmi les humains et de pourquoi je travaille ici. Déjà, vivre au milieu des humains n’est pas plus dangereux que de vivre parmi les tigres, les loups ou les requins. Il suffit de connaitre leurs codes, comme pour n’importe quelle espèce.” Je dois bien reconnaitre que les codes sont parfois plus simples à comprendre chez les animaux... “J’ai toujours vécu parmi les humains, dès le moment où mes transformations n’étaient plus totalement incontrôlées. Et pour mon travail... Avant la guerre, je travaillais au Zoo. Mais c’est ici que j’ai retrouvé un emploi après, c’est aussi simple que ça !” Bon ça et le fait que le zoo est un peu traumatisant pour moi d’une certaine manière. Je tentais en revanche de me souvenir des autres questions. Ah oui, les formes que je prends ! “Je ne nages pas souvent. Mais quand je le fais, je peux prendre la forme de n’importe quel poisson qu’on trouve ici ou à l’aquarium de New-York. Personnellement je préfères les grands félins. Et pour prolonger mon espérance de vie, j’ai opté pour la tortue des Galapagos.” Je fronçais les sourcils en me souvenant de ce qu’elle avait dis. “Mais attends... Tu n’as jamais rencontré d’autre zouwu avant moi...? Enfin je veux dire... Je connais deux zouwu qui doivent avoir à peu près ton âge donc ça me surprend un peu que tu n’en ais jamais croisé au moins un. Ou alors c’est qu’on se cache un peu trop bien peut-être."

Parler des humains et du fait de pouvoir vivre parmi eux n’était peut-être pas une bonne idée. Devon avait recommencé à s’éloigner de moi et je n’aimais pas ça. Elle donnait l’impression de vouloir me fuir juste parce que j’avais appris à me fondre dans la masse. Je crois que je vais donc éviter le sujet des humains et surtout de leurs codes sociaux. Certes, tous les humains n’ont pas forcément un bon fond. Mais dès qu’ils deviennent mauvais, c’est bien souvent la peur qui s’en mêle. Peur de ce qu’ils ne connaissent pas, peur de ce qu’ils ne peuvent pas maitriser. Et justement, nous les surnaturels, ils ne peuvent pas nous maitriser comme ils le voudraient. Ils ne comprennent pas ce qui fait notre existence, ne peuvent pas quantifier le nombre d’individus de chaque espèce parce que nous avons appris à nous cacher. Ils savent que les Zouwus existent puisque c’est grâce à nous qu’ils peuvent voyager plus rapidement par exemple. Mais ils seraient bien incapables de dire combien nous sommes, d’expliquer nos propres codes sociaux. Personnellement, je ne les vois pas comme des ennemis mais plutôt comme des enfants. De jeunes enfants qu’il faut éduquer, auxquels il faut expliquer, parfois plusieurs fois, que même si nous ne sommes pas de la même espèce qu’eux, dans le fond nous ne sommes pas si différents et que chaque vie se vaut. Pourtant, j’aurai pu leur en vouloir. Je ne suis pas idiote, je sais bien que ce sont des humains qui ont voulus m’enlever, qui m’ont privé de ma mère dans une période où j’avais atrocement besoin d’elle parce que je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Et pourtant, je n’en tiens pas rancune à tous les humains.

A entendre Devon, je n’ai pas de mal à comprendre qu’elle se sent beaucoup plus à l’aise avec les requins... Et cela commence à m’inquiéter. Quelle forme peut-elle adopter la majeure partie du temps ? J’espère sincèrement qu’elle vit majoritairement sous sa forme humaine, sinon... Je préfère ne même pas y penser ! Je me fais peut-être des idées de toute façon. Mon trouble s’amplifie quand elle me demande de quoi je voulais parler au sujet des tortues. Je ne ressens pas de plaisanterie ou quoi que ce soit, cette question semble clairement des plus sincères. “Et bien... La forme que tu adoptes la majeure partie du temps détermine ton espérance de vie. J’ai bien compris que tu n’aimes pas les humains mais à titre d’exemple, si on prend surtout leur forme, on a une espérance de vie autour des 80 ans. Moi avec ma forme de tortue, si je m’y tiens, j’aurais une espérance de vie autour des 200 ans.” Mon angoisse ne faisait que s’accentuer... Pourtant, je n’osais pas poser la question. Parce que j’avais trop peur de m’entendre dire que cette pauvre petite n’avait plus que quelques années à vivre. Je sais, c’est idiot de sembler déjà attachée à elle. Mais je suis presque attendrie par cette innocence qu’elle dégage, avec cette façon de poser des questions dont les réponses me semblent pourtant évidente. Non, il faut que j’arrête de penser à ça ! Parce que finalement, je ne sais pas ce qui me perturbe le plus entre ça et le fait qu’elle ne connaisse aucun autre zouwu.

J’ai bien conscience que nous ne sommes plus aussi nombreux que cela, que la seule solution pour être certain de perpétrer l’espèce c’est de rester entre nous d’une certaine manière. Mais c’est aussi ce qui fait que nous devenons de moins en moins nombreux à mesure que le temps passe. Non pas qu’on ne puisse pas avoir d’enfant avec un humain ou... Que sais-je, une sirène, une nymphe, un dragon... peu importe. Mais faire cela a forcément des conséquences. Parce que la ligné perd de sa pureté, que les gènes se perdent peu à peu... Et qu’un enfant, s’il né humain même en étant enfant de zouwu, ne pourra jamais plus transmettre ce gène. Mais cela ne veut pas pour autant dire que nous ne sommes plus là. Pensive, je croisais les bras sous ma poitrine en entendant la jeune femme me dire que mon histoire lui semble totalement anormale. Alors que personnellement, la sienne me semble totalement unique. Et je trouve ça cruel qu’elle n’ait pu avoir personne pour la guider sur la voie, cette voie qui est la nôtre. Sait-elle seulement tout ce dont elle est capable, juste parce qu’elle est une zouwu...? J’esquisse un sourire triste quand elle se met à me dire que j’ai peut-être passé trop de temps avec les humains. Elle a peut-être raison ? Mais c’est cela qui m’a aussi permis d’apprendre à contrôler mon don d’empathie. Parce qu’il peut parfois devenir un véritable calvaire, quand on ressent toutes les émotions de ceux qui nous entourent. “Vivre parmi les humains, ça aide à contrôler certains de nos talents. De devoir rester cacher, ça motive à contrôler nos transformations qu’on subit pendant notre petite enfance. Les côtoyer, ça oblige à se forger une carapace pour ne plus ressentir tout ce qu’ils ressentent.” Il faut que je lui demande... Parce que cette question revient inlassablement, parce que je ne peux pas la laisser dans l’ignorance. “Devon je suis désolée de te demander ça mais... Quel âge as-tu ? Et surtout... Sous quelle forme tu passes le plus de temps...?”  J’espérais vraiment ne pas apprendre une nouvelle qui me semblerait mauvaise. J’espérais vraiment qu’elle me donnerait une espèce de requin avec une bonne espérance de vie...

C’est assez déroutant de croiser un zouwu qui semble en savoir aussi peu sur notre espèce. Il doit forcément y avoir eu quelque chose dans sa vie, un détail que je ne capte pas encore mais qui fait qu’elle n’est pas au courant de certains éléments clés comme le fait de pouvoir jouer sur notre espérance de vie par exemple. Bon, les bases de bases sont comprises, en même temps ce n’est pas bien compliqué de comprendre les principes de transformations. J’espère juste qu’elle a suffisamment de formes différentes et surtout, de formes qui vivent suffisamment longtemps. Juste à sa façon d’être, il est évident qu’elle ne se sentira pas particulièrement à l’aise parmi les humains. Cette forme est donc à proscrire, au risque de me prendre un regard assassin ou même de la voir directement fuir la pièce. Et ça, c’est quelque chose d’impensable. Je ne peux pas laisser un jeune zouwu dans l’ignorance, encore moins quand il s’agit potentiellement de sa vie. C’est sans doute ce détail qui m’effraie le plus : perdre un des miens. C’est étrange de la qualifier de la sorte, sans doute parce que je la connais à peine. Je devrais sans doute la guider vers un autre zouwu, plus âgé et plus expérimenté que moi. Mais ma conscience me dicte que je ne peux pas faire ce genre de chose. J’ai un peu peur qu’un membre plus âgé ne l’endoctrine à la passivité alors que personnellement, je tente de montrer que nous ne sommes pas juste là pour observer le monde et calmer le jeu quand le Conseil a besoin de nous. Non, il faut que je m’occupe de cette histoire moi-même.

J’esquisse un petit sourire face à la réaction de Devon quant à mon espérance de vie. Elle n’a pas tort, vivre aussi vieille n’a plus grand intérêt actuellement. Cela en avait avant la guerre. Mais maintenant... Je tente tout de même de lui expliquer les raisons de ce choix. “Avant que les humaines ne connaissent notre existence, on pouvait changer d’endroit. Personne n’est en mesure de nous suivre alors c’était plutôt gérable. Et pourquoi vivre aussi longtemps... Et bien quand on aime quelqu’un, qu’on l’aime sincèrement, on peut vouloir rester le plus longtemps possible avec. Dans ma famille, on était tous à choisir une espèce ayant une espérance de vie de 200 ans. Parce qu’on pouvait passer plus de temps ensemble mais qu’on ne restait pas non plus trop longtemps. C’était le meilleur équilibre qu’on avait pu trouver.” Evidemment, maintenant que je suis la dernière de ma famille cela n’a plus vraiment d’intérêt. Le seul intérêt qui me reste, c’est la rébellion, et Milo et Sören que je ne peux pas évidemment pas abandonner. Seulement lorsque j’aurai atteint mon but, peut-être que je prendrais une autre forme principale. Peut-être que je resterais sous forme humaine. J’aurais une bonne raison de le faire, maintenant que je ne suis plus vraiment seule. Mais restait tout de même la question de l’âge de Devon. Parce que je me posais énormément de question à ce sujet et que je nourrissais le fol espoir qu’elle ait encore suffisamment de temps devant elle. Juste au fait qu’elle doive chercher son âge, je comprenais rapidement qu’elle passait sans doute beaucoup plus de temps avec les requins qu’avec n’importe quelle autre espèce vivant sur Terre.

Mon estomac se noua d’angoisse. Elle avait déjà plus de vingt ans... Pourvu qu’elle prenne une forme de requin blanc, ceux-là sont capables de vivre jusqu’à soixante-dix ans aux dernières nouvelles... Mes espoirs se brisent pourtant rapidement... Vingt-quatre ans.... Requin tigre... La réalité s’abat sur mes épaules, lourdement. Si lourdement que je m’enfonce dans mon siège. Cela veut donc dire qu’il ne lui reste même pas dix ans... Pauvre petite... Pourquoi ne l’ai-je pas trouvé plus tôt ! Je tente de respirer calmement. Il ne faudrait pas qu’elle se prenne mon angoisse en pleine face, pas alors que je tente déjà de lui inculquer certains principes vitaux pour notre espèce. “Devon je... Je t’ai dis que notre espérance de vie dépend de la forme qu’on revêt principalement... Tu... Tu ne peux pas rester un requin tigre !” Ma voix avait été plus dure que je ne l’aurai voulu, je m’étais relever subitement. Repassant de mon côté du bureau, je me pinçais l’arête du nez en soupirant. “Désolée, je...” Comment voulez-vous dire à quelqu’un qu’il ne lui reste que quelques années ? J’espérais qu’il soit encore temps d’inverser les choses, de pouvoir lui permettre de vivre plus longtemps... Je l’espérais sincèrement... Allumant rapidement mon ordinateur, je commençais à pianoter sur le clavier jusqu’à trouver l’information que je voulais. Puis, je tournais l’écran dans la direction de la jeune femme. “Je vais devoir le dire de manière brutale mais... Devon, si tu persistes à être un requin tigre, il te reste moins de dix ans.... Six ans environ, peut-être un peu plus avec de la chance..."

Pourquoi je me sens aussi touchée parce elle ? Pourquoi je panique à la simple idée qu’il puisse lui rester aussi peu de temps ? Ça n’a rien de normal, ce n’est pas rationnel. Et voilà que je lui explique pourquoi j’ai décidé d’allonger à ce point ma vie, sans pour autant lui dire que j’ai tout perdu. Mais comment dire à quelqu’un d’aussi jeune que si vous continuer de prendre une certaine forme principale, c’est plus par habitude que par réelle envie de continuer à arpenter ce monde pendant encore plus de cent cinquante ans. Surtout que... D’une, je ne sais pas trop ce que ça va donner avec Laszlo sur le long terme. De deux, si tout se passe bien et qu’on vit, en quelques sortes, dans le monde des bisounours, la forme humaine sera sans doute la plus appropriée sur le long terme. J’ai déjà dû vivre sept ans en ayant perdu mon compagnon, je ne supporterai pas d’en voir un second partir pendant que je reste. C’est beaucoup trop difficile à gérer émotionnellement. Mais là n’est pas la question de toute façon. Plus je parle avec Devon et plus je me pose des questions sur sa famille. Pourquoi se retrouve-t-elle à vivre avec les requins ? Ça me fend le cœur de l’entendre me dire qu’elle n’aime personne et n’a pas de famille. Bon sang Devon, qu’est-ce que tu as pu traverser pour pouvoir dire ce genre de choses alors que tu as l’air si jeune... Je me sens mal pour elle, rien que d’y penser. Je trouvais ça déjà horrible d’avoir perdu beaucoup trop pendant la guerre mais elle avait dû vivre pire...

Finalement, je me retrouvais à être inquiète de sa survie. Parce que je me demande s’il n’est pas trop tard, parce que je trouve cruel que personne ne lui ait expliqué tout ce qu’on m’a appris pendant mon enfance. Et à la voir ainsi, me demander pourquoi je me fâche, je ne peux que me radoucir. Mais je ne peux pas la laisser faire ça sans la mettre au courant de tout ce que cela implique. Il faut qu’elle sache. Qu’elle sache que son espérance de vie sera plus courte que celle d’un humain, qu’elle a peut-être encore une chance d’enrailler la machine... Mon cœur se morcèle doucement en voyant l’expression de la jeune femme changer, passer du sourire à la tristesse. Pourquoi faut-il que ce soit si difficile ? Ce n’est pas à moi de faire ça, ça aurait dû être à ses parents, comme les miens l’ont fait avec moi et comme je l’aurais fait si j’avais eu un enfant. Doucement, je m’agenouille devant elle. Exactement comme on le ferait avec une enfant finalement. Patiemment, je la laisse parler. Je ne compte pas l’interrompre, elle a sans doute besoin de s’exprimer suite à tout ce que je viens de lui donner comme informations. Nerveusement, je commence à me mordiller la lèvre inférieure. Non, elle n’est pas une tortue. Moi non plus d’une certaine manière. Mais je peux tout de même concevoir qu’elle se sente plus requin qu’humaine. Ça arrive sans doute plus souvent qu’on ne le pense. Je la connais à peine et je ne suis sans doute pas la mieux placer pour lui dire quoi faire. Encore moins sachant qu’à une époque de ma vie, j’ai envisagé de prendre des formes félines pour dire d’en finir en douceur.

Mon cœur se brise pourtant quand elle me fait une confidence lourde de sens. Venger ses parents ? Je comprends mieux pourquoi ses connaissances des zouwus présentent autant de lacunes. Et a voir son regard, je n’ai qu’une envie : la prendre dans mes bras. Mais je doute que ce type de contact soit apprécié. Alors, je me contente de doucement poser une main compatissante sur la sienne. Au moins, elle pourra la retirer si ça la dérange. Je ne peux pas la laisser dans cet état ni juste avec ces informations. “Ecoutes... On peut peut-être trouver une alternative. Certains requins ont une espérance de vie plus longue. Je sais bien que toutes les espèces de requins ne sont pas en mesure de se côtoyer... Mais certains vivent plus vieux. Le requin pèlerin par exemple. Ou le grand requin blanc. Ça peut possiblement te permettre d’avoir une espérance de vie proche de celle des humains.” Si au moins ça pouvait lui permettre de gagner quelques années, à défaut de lui permettre de vivre jusque soixante-dix ans... Mais il fallait que je sache quelque chose. “Devon... Tu as le droit de me dire que tu ne veux pas en parler mais... Qu’est-ce qui est arrivé à tes parents...?” Si elle parlait de vengeance, j’avais bien une petite idée sur la question... Mais elle me semblait avoir une histoire bien plus complexe encore que celles de mes deux protégés...

Je n’aime pas voir les gens aller mal. D’accord, ça ne me fait pas un effet aussi violent que les effusions d’amour à la Saint-Valentin. La Saint-Valentin c’est le moment où j’ai du mal à juguler mon empathie et les sentiments amoureux sont tellement nombreux à ce moment que ça m’en donne la nausée. Mais la tristesse... ça me tort l’estomac. Ça me noue la gorge, ça me donne envie de serrer les gens dans mes bras, aussi fort que je le peux. Mais j’arrive encore à faire refluer ce sentiment. Alors, je me focalise sur autre chose. Je tente de placer un mur invisible entre mes propres sentiments et la tristesse que je peux ressentir chez Devon. Mais au moins, la solution que je lui apporte semble trouver grâce à ses yeux. C’est un premier bon point et même un véritable soulagement. Heureusement que certaines espèces de requin peuvent vivre presque aussi longtemps que les humains... Enfin j’ai bien compris que la vie de plusieurs siècles ne l’intéresse pas, il n’aurait donc servi à rien du tout de lui parler du requin du Groenland par exemple. Même moi je ne m’étais pas risqué à vouloir oser une telle espérance de vie et je ne connais même aucun zouwu qui s’y serait risqué. Parce que vivre quatre-cent ans, ça ne doit pas être toujours évident. D’autant plus qu’il faudrait pouvoir profiter d’eaux extrêmement froides... Non, ma tortue était bien plus pratique à ce niveau au moins, c’était une forme que je pouvais prendre chez moi sans prendre trop de risque.

Je retenais un petit soupir de soulagement face à l’acceptation de la jeune femme. Elle posa tout de même la question de l’espérance de vie. “Avec une forme de requin blanc, tu pourrais un peu plus que doubler ton espérance de vie. Là où le requin tigre vit environ trente ans, le requin blanc c’est plutôt soixante-dix ans. Tu devrais réussir à y trouver ton compte.” Elle semble plutôt convaincue pour le coup et je ne peux pas nier que ça me rassure. Au moins, mes connaissances m’ont permis de lui apporter une réponse rapide. Mais quand je pose des questions sur sa famille, elle semble se fermer comme une huitre. Elle commence par retirer sa main, puis fini par l’éloigner complètement. Je comprends bien qu’il vaut mieux que je ne la suive pas. Je peux comprendre qu’elle ait du mal à s’ouvrir, on se connait à peine. Pourtant, Devon me raconte son histoire. Et c’est une histoire qui fait froid dans le dos. Parce qu’elle est crue, brutale. Une part de moi est rassurée qu’elle ne se souvienne pas de tout. Le traumatisme est déjà bien assez grand quand on perd sa famille alors je n’ose imaginer si elle se souvenait de tout en les ayant perdus aussi jeune. J’aurai mille et une questions à lui poser mais je comprends bien que ce n’est pas le moment... Mais je me demande comment elle a réussi à ne pas se faire prendre. Parce qu’on ne se contrôle pas toujours complètement à cet âge et ça peut vite nous poser quelques problèmes. A mesure qu’elle avance dans son récit, je me rends compte qu’elle utilise des portails alors que pour nous autres, il y a d’autres possibilités.

Je lâchais un petit soupir avant de venir m’installer comme elle, suffisamment loin tout de même pour ne pas envahir son espace. Si je voulais que cette jeune zouwu me fasse confiance, j’allais sans doute devoir me livrer. Ce n’était pas cher payé pour gagner sa confiance finalement. Je n’osais pourtant pas la regarder alors que je m’apprêtais à lui dévoiler mon histoire. “J’ai perdu quasiment toute ma famille pendant la guerre. J’ai perdu mon père, j’ai perdu mon mari. Et a trop vouloir me battre pour mes convictions... J’ai perdu la seule chose qui aurait pu me rester de mon mari...” Je sentais les larmes me monter aux yeux. Je n’aime pas parler de ça, ni me souvenir que ma témérité a causé ma fausse-couche. Ce mot que je n’arrive jamais à prononcer et qui me hante encore après ces années. Du revers de la main, j’essuie les larmes qui menacent de s’échapper. Puis, je respire un grand coup avant de reprendre. “Quelques années après, j’ai perdu ma mère. Un groupe d’humains a tenté de m’embarquer. Elle s’est interposée pour me protéger et c’est elle qu’ils ont emmené... Depuis, je n’ai plus jamais eu de signe de vie de sa part... Personne ne sait où elle est, personne ne sait si elle est en vie... Même si j’en doute personnellement...” Ma mère, cette femme admirable qui avait tout fait pour me protéger alors que moi, je n’avais pas su protéger mon enfant à venir... A croire que je n’avais pas sa fibre maternelle... triste ironie du sort, maintenant que je suis la seule à pouvoir sauver notre lignée.