Me retrouver à parler de mon passé me fait un mal de chien. Mais je n’ai pas trouvé de meilleur moyen que ça pour tenter de gagner la confiance de Devon, pour lui montrer que malgré le fait que je suis parfaitement capable de me fondre dans la masse humaine, je n’ai pas une vie parfaite. Parce qu’à trente-six ans, je commence tout juste à retrouver ce petit gout de bonheur depuis que j’ai rencontré Laszlo. Parce que ma famille a volé en éclats et que j’ai mis beaucoup de temps pour m’en relever. Et encore, les plaies menacent de se rouvrir à chaque instant. Il suffirait de peu pour qu’elles soient de nouveau béante, pour que je préfère me noyer dans le travail, et maintenant la rébellion, plutôt que de lutter pour vivre une vie à peu près normale. C’est sans doute parce que ça fait si mal que je n’en parle pas. Que je tente de m’occuper, même quand je suis seule, pour ne pas me laisser engloutir. Il est impossible d’oublier ceux qui nous sont chers. Parce que le deuil n’est finalement qu’un amour qui refuse de s’éteindre. Mais cela me rend parfois la tâche plus compliquée qu’on ne pourrait le croire. En tout cas, il semble que d’avoir parlé de ce genre de chose aide la jeune zouwu à se sentir un peu plus à l’aise avec moi. Je la vois bien, qui se rapproche discrètement. Je ne bouge pas, préférant la laisser venir tranquillement sans la brusquer. Je ne tourne même pas le regard vers elle, restant simplement assise là, adossée contre le mur à regarder droit devant moi.

J’esquisse un faible sourire à la réaction de la jeune femme. A l’entendre, on pourrait croire que les humains sont responsables de la disparition de toute ma famille. Je serai bien en peine de dire qui a mis fin aux jours de mon père ou à ceux d’Ethan. Pour ce qui est de mon enfant, je crois me souvenir que c’est suite à l’attaque d’un dragon que je me suis retrouvée à devoir être éloignée des combats. J’aime en revanche un peu moins quand elle parle de venger ma famille. Autant lui faire comprendre tout de suite les choses. “Mon père et mon mari n’ont sans doute pas été tué par des humains tu sais. Il y a une plus forte probabilité que ce soit par un dragon ou un sorcier par exemple.” Et je voyais mal un humain capable de tuer un zouwu sous sa véritable forme. Ce n’est pas comme si nous étions petits sous cette apparence alors ils auraient été plus méfiants qu’autre chose, surtout à cette période. Je sursaute légèrement en sentant sa main venir essuyer une larme sur ma joue. Je n’avais pas senti la petite perle salée s’échapper de mon œil. Par contre, j’étais touché qu’elle veuille apparemment le protéger. Je ne pense pas en avoir particulièrement besoin. Je suis capable de me défendre par moi-même, je l’ai déjà prouvé à plusieurs reprises. Mais c’est attendrissant de voir une aussi jeune zouwu qui porte des convictions semblant aussi nobles. Je ne peux pas la blâmer sur ce point alors je n’ose pas vraiment la contredire.

Je souris un peu plus franchement quand elle me proposer d’aller nager avec elle. J’ai toujours eu une préférence pour les animaux terrestres personnellement mais peut-être que nager ne ferait pas de mal. Enfin je n’en ai pas particulièrement le temps pour le moment. “Une autre fois peut-être. J’ai encore pas mal de boulot et je ne peux pas partir comme ça tu sais. Ce n’est que partie remise dirons nous.” Je décidais finalement de me relever. Mon corps humain me faisait bien comprendre que le sol n’était pas des plus confortables. Mais ce n’est qu’un détail après tout. Je tique en revanche sur un détail : Devon a proposé de nous ouvrir un portail. Bon, j’ai peut-être là une occasion de proposer qu’on puisse se revoir dans un contexte différent. “Tu ne passes que par les portails ? Enfin je veux dire... Ils sont pratiques et permettre à d’autres de voyager. Les humains et les autres surnaturels peuvent les utiliser sans souci. Mais... On n’en a pas besoin.” Je m’empare alors d’un papier sur mon bureau et y note mon numéro et surtout, une date et un lieu, vérifiant l'emplacement exact sur mon ordinateur. “Si tu en as envie, je devrais pouvoir t’apprendre quelques petites choses. Si ça t’intéresse, retrouves moi dans le désert des Mojaves d’ici une semaine. Je t'ai noté les coordonnées géographiques pour que tu puisses m'y retrouver plus facilement. Et sinon... Même si je peux me déplacer très facilement, préviens-moi. Histoire que je n’y aille pas pour rien.” Une fois les informations transmises, je raccompagnais la jeune femme vers le bassin des requins. D’ici, elle pourrait se déplacer comme elle le voulait. Je glissais tout de même une dernière recommandation. “Fais attention à ne pas te laisser emporter. Evitons que la sécurité ne vienne pour te mettre dehors.” Et finalement, après un dernier sourire rassurant, je retournais vaquer à mes occupations. Et surtout... J’avais une semaine pour prévoir quelques petites choses.