I know dark clouds will gather around me - Cassos

Alice aurait sûrement sauté d’excitation face à la brillante idée de Stanley. Elle se serait très bien vue dans un bar à attendre de retrouver son fiancé d’un soir, à se demander s’il y aurait pensé lui aussi ou si elle serait la seule des deux à être sotte et à avoir des rêves et des délires pleins la tête. Alice, elle s’est mise en scène d’une manière que Cassandre évite souvent et elle recommencerait certainement. Mais il y a une sirène sous ce masque, et cette sirène a beau être détachée de sa famille, elle ne peut pas s’en éloigner complètement. Elle ne peut pas leur faire faux bond pour Noël, leur dire qu’elle a mieux à faire : parce qu’ils se voient trop rarement pour ça et que même elle a des limites sur la distance qu’elle veut bien mettre entre les garçons et elle.

Il la fait sourire, pourtant. Elle a presque l’air rêveuse quand elle l’écoute déblatérer ses idioties et qu’il la fait rire en se reprenant. Il la fait sourire parce que son idée de soirée lui parait absolument chaotique, bien plus terrible que toutes celles que pourrait avoir Cassandre malgré sa propre familiarité avec les boîtes et les bars. Non Stanley, Cassandre ne fera pas de secret santa avec des inconnus pour tes beaux yeux, mais elle est séduite par le fait que tu le proposes, par la preuve supplémentaire que tu es trop seul pour ton propre bien, si ce Noël rêvé te parait préférable à celui que tu pourrais passer avec ta famille.

Elle ne s’attendait pas à ce qu’il soit celui à passer le pas. À faire se rejoindre leurs lèvres.

La scène pourrait être romantique. Il pourrait y avoir des feux d’artifice dans son cœur, elle pourrait se dire qu’elle a de la chance d’avoir ce début de conclusion avec celui qu’elle a attiré vers elle toute la soirée. Elle pourrait se faire des plans, des idées. Elle aimerait bien, en fait, qu’il lui fasse ressentir de grandes choses. Mais le calme plat, ce n’est pas forcément si mal. Surtout qu’il n’est pas si plat que ça, à bien l’analyser : il y a ces petites vagues, ce doux sentiment de satisfaction en se disant que s’il l’embrasse de lui-même, c’est qu’elle est bien partie. C’est qu’elle peut aller un peu plus loin, qu’elle peut continuer comme ça, qu’elle peut essayer de le rendre heureux et de, peut-être, se rendre un tant soit peu heureuse aussi.

Il n’est pas parfait, Stanley, il ne restera pas là toute sa vie quoi qu’il en soit. Mais il est bien plus intéressant que la moyenne, il a ces taches de rousseur que Cassandre a de plus en plus envie d’embrasser à mesure que l’alcool gratte les fissures de son masque, il a toutes ces fêlures en lui qui en font le candidat idéal.

Elle n’est pas amoureuse, mais elle peut l’aimer d’une manière ou d’une autre. Elle le sait, parce qu’elle est heureuse malgré tout. Malgré le manque de déflagration, malgré son cœur qui n’a eu qu’un petit soubresaut.

Il lui dit qu’ils auront quand même la gueule de bois et elle, ça la fait glousser. Parce que c’est ce que font les filles quand elles sont sous le charme et qu’elle ne veut pas le rompre tout de suite, gardant son sourire satisfait et son regard planté dans les constellations de son visage.

« Oui, je sais. Mais on s’en fiche un peu, non ? »

Et puis il s’embourbe, encore. Il s’emmêle les pinceaux, il ne sait plus ce qu’il dit et en même temps il la complimente. Il n’a pas vraiment de charisme, et c’est peut-être ça qui fait sourire Cassandre encore plus fort. Il a froid alors même si ce n’est pas son rôle à elle, elle vient entourer ses épaules pour lui passer un petit peu de sa chaleur corporelle. Trois fois rien, juste assez pour le remercier de son baiser et de cette soirée. Assez pour se blottir contre lui et donner l’impression que tout est normal et que si elle est charmée, c’est pour les bonnes raisons.

« Hors de question que tu prennes la voiture. Je peux nous prendre un Uber, t’inquiète pas. »

Mais.

Mais, il y a une phrase qui reste en suspend au bout de ses lèvres qu’elle relève à nouveau vers le visage de Stanley. Elle meurt d’envie de l’embrasser encore une fois, là. Parce que la première fois, c’était l’assurance qu’elle lui plaisait et que cette fois, ce serait juste pour le plaisir. Elle ne se fait pas prier. Les baisers, ça réchauffe, d’une certaine manière, alors elle mélange leurs souffles et leur odeur d’alcool. Finalement, la pomme et l’orange se rejoignent d’une certaine manière et ce n’était peut-être pas la meilleure combinaison. Pas dérangeant pour autant. Elle sourit toujours autant, avec cet air presque espiègle quand elle sort son téléphone sans regarder dans cette direction, ses yeux trop occupés à observer les réactions de son dompteur de dinosaures.

« Je veux bien rentrer. Mais Noël, je trouve que ça fait un peu loin pour te retrouver. Alors tu veux bien rester un peu plus longtemps ? Mon appart est pas fameux mais on a vu pire, je crois. »

Avec lui, au moins, elle n’a pas à avoir honte. Elle n’a pas besoin de jouer les riches comme elle le fait trop souvent, elle n’a pas besoin de donner le change et de jouer sur les apparences. Elle peut se montrer en toute vulnérabilité et elle a l’impression que ça ne fera que mieux marcher, que les rapprocher. Et c’est tant mieux, parce qu’elle vient d’emménager, que son appartement est miteux et qu’elle a encore quelques cartons pas déballés en attendant d’avoir l’argent d’acheter l’armoire qui lui fait de l’œil dans un magasin d’antiquité, trois rues plus loin.