Je suis dans du
Je pourrais m’envoler dans l’atmosphère sans étonnement. Je suis une bulle de savon, légère et brillante. Je souris entre mes lèvres.
Adieu. Adieu, les inquiétudes des grands. Adieu, la peur de l’abandon. Adieu, les échecs relationnels. Adieu, la tristesse de la vie. Adieu, les repas seuls le soir. Adieu, les messages vocaux écoutés le soir. Adieu, les regrets sur l’oreiller. Adieu, les relations vaines et insipides.
Salut. Ou j’aimerai dire, bienvenue à toi.
Bienvenue une seconde fois. Bienvenue dans ma vie. Salue les longues après-midis à rien faire, mais avec le sourire. Salue tes doutes du coin de la main, sans crainte. Salue tes inquiétudes, bordées, qui se tairont jusqu’à la prochaine pleine lune. Salue-les, une bonne fois pour tout, et dis leur bonjour, aux papillons dans le creux du ventre. Je les sens. Ils me chatouillent. Je pourrais avoir le crâne qui en diffusent de partout dans la pièce, avec des pétales d’anémones qui s’étaleraient sous nos mains. J’ai des lycoris dans la poitrine, qui s’étendent avec leurs brins comme deux araignées. Si j’ouvre les paupières, je suis persuadé que je les verrai s’accrocher à ses bras fins, hurler dans ses tympans de pas partir, et qu’on restera dans nos chrysalides, cette fois.
Je prends chaque geste comme une promesse, comme quelque chose de mutuel.
On avait chanté des chansons, on avait ré-arrangé des couplets, recoupé des refrains. C’était logique. Tout allait bien se passer, désormais. Je souris. Il n’y avait pas de raison.
Aucune raison.
Je me prends son recul comme une marque douloureux au
J’avais l’impression d’avoir compris les lois de la gravité et de la compréhension humaine, d’avoir rempli mes pupilles de connaissance. Elles se vident à l’instant, et je suis étonné qu’elles ne se cassent pas pour laisser la mer se fracasser contre mes joues. Les vagues ont rencontré les falaises, les portes, et elles sont plus solides.
La mer ne se battait pas contre le fer. Je réalise. L’eau est faible. L’eau s’infiltre, insidieuse. L’eau noie, sournoise. J’avais la tête dans les profondeurs, et en ouvrant les yeux, je voyais flou dans les abysses. J’avais vu du vert alors que c’était du rouge, et maintenant, notre bleu et notre orange détonne une nouvelle fois.
C’est la douche froide, et j’ai les os glacés pendant que ma mâchoire tremble. J’aimerai qu’on m’apporte une serviette, parce que l’air de la Californie me semble froid comme sa voix, froid comme nos souvenirs, froid comme la mort, et le bleu passe de celui d’une flamme chaude à celui de la glace.
God knows I live
God knows I died
God knows I loved
God knows I lied
God knows I begged
Begged, borrowed and cried
God knows I lost
God gave me life
God knows I died
God knows I loved
God knows I lied
God knows I begged
Begged, borrowed and cried
God knows I lost
God gave me life
J’ai envie de bouger les lèvres, mais Nova-Blue est rapide. Elle est gymnaste, et j’ose pas parler. Je garderai son ADN dans ma bouche s’il le fallait, jalousement. J’ai envie d’attraper un mouchoir et de l’imprimer dessus. Je pourrais le garder, précieusement, comme un trésor étrange, et le mettre dans ma boîte à café, avec sa brosse à dents et ses dosettes amères. Tu fais quoi.
Toute cette soirée avait une odeur de
Mon regard se vide.
Mon sourire se tire vers le bas.
J’aimerai bouger le visage, mais il fixe sa mine énervée.
J’ai peur.
J’ai peur de toi, Nova-Blue.
Mais j’ai surtout peur de moi.
J’ai peur parce que je prends des notes mentales sur l’inclination de tes fossettes quand tu t’énerves, pour chérir un souvenir négatif. J’imprime ta voix quand elle prend des inflexions agacées. Je déguste tes regrets pour me dire qu’ils sonnent en concert avec les miens. Je touche du bout des yeux la peau de ton cou qui se lève au rythme de ta respiration saccadée, pour pouvoir y repenser et la comparer à de la neige au soleil, brillante mais destinée à fondre, à te tapisser d’un noir dégueulasse parce que nos couleurs se mélangent pas, et qu’on a beau essayé, c’est pas possible.
J’ai peur quand je me vois retomber dans des travers, parce que je sais ce que ça veut dire.
Tu vas repartir, au loin, dans ta vie. Tu vas voguer sur ta barque, seule, et j’aurai subi le supplice de la planche en léchant le navire jusqu’à m’en souvenir quand je coulerai en mer. Tu vas courir dans un autre parc de jeux, voir d’autres enfants, constater qu’ils sont plus intéressants, et me laisser avec mes genoux enflés d’enfant terrible, et mes tâches de rousseur comme aérographe de nos batailles.
J’avais essayé.
C’est toi, Nova-Blue.
J’y avais cru, à notre jeu de prince et de princesse pourri. J’y avais cru, à ce conte merveilleux de fin de conte que tu m’avais servi. On avait investi le château des dragons, on y avait fait de somptueuses réceptions, et on avait nos souvenirs enfouis dans la cave, à double tour, en espérant que personne n’aille les ouvrir. J’avais le poids de ton corps contre mes jambes, et la douleur de mon genou en preuve de ton engagement. J’avais sûrement un bleu dans le dos à cause de la chaise, que j’observerai attentivement comme évidence de cette soirée étrange. J’ai la gorgée serrée, parce que je veux chialer, mais je préfère me dire qu’on a trop ris et trop chanté.
C’est plus agréable.
Je mange la réalité comme un nuage de barbe à papa, trop sucré, trop collant, écœurant, noirci par nos salives.
On est deux.
On est de la même équipe. On l’a toujours été.
Rien n’a changé.
J’ai le visage des confusions heureuses, et elles me feraient oublier les contusions de mon crâne et de mon genou. Je prends une inspiration pour répondre et elle continue.
J’entends le souffre, j’entends le claquement du métal contre mon crâne. On fond sous la chaleur de nos plaintes, et sûrement qu’on pourrait se fondre ensemble, que je me dis.
On est fait du même matériau. Celui de l’orgueil ravalé, des pleurs jamais vraiment oubliés, des nuits sans sommeil soupirées.
C’était peut-être une ordure, une connasse, une hypocrite. Certainement. Mais on était fait du même matériau. On était étranges, inadaptés, parce que cassés quelque part, parce qu’on détruisait pour exister, avec notre sel sur la langue. On était les seuls à pouvoir en apprécier la saveur, quelque part.
Mais c’était pas l’important. C’était pas ça, qui était important.
J’aimerai réarranger mon discours, écrire une autre chanson, retourner sur la scène du karaoké et me rattraper. Nova-Blue avait obéit, avait tout bien fait comme il fallait. Je me mords les lèvres. J’aimerai qu’on me prive de parole, de temps en temps. Avec elle, oui. Contre les autres, c’était ma seule arme.
On est
On est
Elle avait attendu trois heures. J’avais attendu le livreur, et je l’avais attendu.
Je hausse les sourcils.
Je m’en souviens pas. Je me souviens de rien. Tu m’as appelé. Je suis venue. J’ai cru que t’étais mort. Que tu voulais plus me parler. Que tu me détestais alors que tu m’as dis que non.
Elle parle, alors je me tais.
Je fouille ma mémoire. Je me souviens d’une hospitalisation il y a deux ans. Je me souviens d’un plafond blanc cassé exceptionnellement laid. Je plisse les paupières sans le vouloir. J’ai l’air suspicieux. C’est pas mon but. J’essaie de comprendre, pour pouvoir te comprendre, Nova-Blue.
On se perd dans nos jeux quand elle a peur que je joue avec elle, une nouvelle fois.
Sauf que je jouerai pas avec elle. Je jouerai pas contre elle. Je jouerai avec elle, ensemble. Je me promets des choses avec des ronces autour de mes roses offertes, et j’attends que mon petit doigt s’arrache sous la pression de mes promesses.
« Mais- ... »
Je me dis que c’est sacrément naze comme introduction. Alors, je me mords les lèvres, pour racler chaque centimètre des siennes fantômes.
« J’ai voulu te reparler. » Je marque une pause. « Plusieurs fois. »
Ma voix se fait plus sérieuse, et il semblerait que la sincérité sonne avec une drôle de tonalité chez moi. J’essaie de comprendre comment on fait, pour l’être. Qu’est-ce qu’il fallait utiliser, comme mot, sans que ça sonne ridicule. Je me voyais mal lui dire de but en blanc que j’avais pas oublié tout ça. Qu’elle était devenue une partie de mon cerveau, quelque part dans l’hippocampe, parce que c’était un animal marin et que ça lui ressemblait.
Je tourne ma tête sur le côté, parce que son regard me fait mal.
Je joue avec l’herbe artificielle. Je la trouve franchement laide.
C’était mon rôle, maintenant, d’être plus authentique qu’elle. Je laisserai pas quelque chose d’aussi important que Nova-Blue se faire arracher comme cette pauvre pelouse synthétique.
« J’ai même voulu d’écrire. Mais c’était toujours moche. Puis … Puis je me suis dis que t’allais te marrer. Ou même, pire … Que t’allais le lire à tes potes, à ta sœur, puis que t’allais te marrer. » Je ris nerveusement. « Au moins, j’aurai réussi à te faire rire, cela dit. C’était peut-être un peu égoïste de ma part, merde. »
Je commence à voir le
J’étais incapable de le faire.
Alors, je m’expliquerai. Je sais pas le faire, Nova-Blue. Je te raconterais comment c’était ma vie, sans toi. C’était aussi intéressant que cette putain d’herbe, et dieu sait que j’avais essayé d’en fumer pour espérer que l’amnésie s’en prenne à moi. J’avais pas tant de trous dans le cerveau, mais j’en avais accumulé dans la mâchoire et dans le coeur.
« J’ai commandé des bobuns quand t’es partie … Je me suis pas inquiété. T’avais la clef. Puis, j’ai été cherché mon courrier une semaine plus tard. Et je l’ai vue. Puis j’ai plus osé te regarder à la fac. Parce que j’ai compris. » La peau de ma joue se creuse parce que mes dents cognent dessus. « Parce que t’as dis que tu me détestais. Et j’ai compris. J’ai compris qu’on s’était pas juste engueulés. T’étais ma première copine, je sais pas comment ça se passait, les ruptures. »
Ma main en a fini avec l’herbe et elle cherche quelque chose de plus authentique que le
Bleu. Galaxie. Bleu. Galaxie. Des constellations de coutures dans les omoplates. Des fragments de satellites dans les os.
« Alors j’ai compris que j’avais merdé. Puis je me suis dis que t’allais te moquer de moi, et que ça allait être chaud d’assumer. Alors … J’ai juste repris ma clef, je l’ai remise sur mon trousseau, et j’ai pas retiré l’étiquette. » Je souffle du nez. « Elle s’est barrée deux ans plus tard, à force de traîner dans ma poche. Tu m’étonnes. Je jouais avec à longueur de journée, faut pas être con non plus. »
Pause. Je regarde ma main. Je regarde son genou. J’ai envie de l’embrasser. Je préserve mes lèvres. Elles sont indésirables. J’aurai du le savoir. J’étais juste un puzzle, après tout. Et elle avait jeté la moitié par la fenêtre, certainement.
« Puis y a eu … Ce bordel. Je suis resté chez moi, enfermé. J’ai eu trop peur. J’ai pas compris. J’ai cru que Dieu me punissait pour ce que j’avais fais, et que c’était de ma faute à moi. Je suis pas sorti. J’ai beaucoup paniqué. J’étais impuissant, inutile, incompatible. Je me disais que j’avais eu raison, pendant tout ce temps. Alors, je t’ai pas rappelé. »
Ma gorge se fend d’un sursaut et je sais pas si c’est la mer qui touche mes yeux ou mes pupilles qui se vident, comme du liquide de mon orbite crevée.
« J’ai cru que t’étais morte pendant ce bordel. »
Je renifle un moment. Quelques minutes passent, et je suis incapable de reprendre. J’imaginais son corps dans la rue, parce qu’elle aurait espéré que la gymnastique soit utile. Nova-Blue s’investissait dans la défense d’autrui. Elle m’avait protégé. Elle était toujours là. Elle avait été voir Dakota après qu’elle m’ait fracassé. Elle croyait en la justice et en la droiture, même si les raisons lui échappaient. J’avais imaginé ses membres formant de drôles d’angles, et j’avais pas supporté. J’entends à nouveau les explosions dans le fond de mon crâne, et je gémis comme un gosse.
« Parce que comme tu me détestais, et que ton entourage me détestait aussi, personne aurait eu l’idée de m’inviter à ton enterrement. De temps en temps, je voulais t’appeler, mais j’avais pas le courage. Pas le courage de tomber directement sur ton répondeur. Je voulais pas avoir ma réponse. Jamais. Je voulais rester dans l’illusion. » Je me mords les lèvres et j’ai l’impression que je pourrais saigner à force de le faire. « Finalement, ça m’allait bien. Et si j’avais pas retrouvé la clef dans la boîte aux lettres, j’aurai sûrement pensé qu’on serait restés ensemble pendant tout ce temps … »
J’expose mon incompréhension, ma vision étrange de notre histoire bizarre. J’ai peur, qu’elle se barre, qu’elle comprenne que je suis qu’un disque rayé sur une chanson tordue, sur des Nuits Transfigurées, que je suis une sonate en si mineur, et que y a trop de dissonances dans les refrains que je me chantais toutes les nuits depuis neuf ans.
« Mais je l’ai sûrement pensé, un peu. » Je rougis. « Prends pas peur, mais j’ai gardé ta brosse à dents, au cas où. J’ai toujours du café chez moi. J’ai tout gardé, dans leur état. Parce que je me disais que t’allais peut-être revenir. Et si t’étais morte, c’était les seuls objets qui me restaient de toi. Alors … » Un sanglot m’étouffe à nouveau. « C’était plus simple de tout garder. Parce que tant que je pensais à toi, t’étais encore un peu en vie, vu que ton souvenir existait un peu sur Terre … » Je ris un peu. « J’ai l’air d’être un grand malade quand je te dis ça, je suis désolé. »
Je sais que j’en ai pas seulement l’air. Si je trouvais ça normal, c’était étrange et mal venu. J’étais resté coincé, et c’était dramatique.
« Les évènements se sont enchaînés. J’ai passé les pires années de ma vie. Mais t’étais là. »
Je prends une large inspiration. Je me dis que j’ai rien expliqué, mais j’espérais que nos pensées soient reliées pour qu’elle comprenne mes propos. On était Nova-Blue et Ambrose. Les pirates parlaient avec des signes invisibles. Les enfants s’inventaient des langages codés. Les adultes communiquaient en souvenirs étranges.
« Je veux juste plus que tu partes. Je veux pas que tu te casses. Je l’ai jamais voulu. Je le pensais pas. Je pensais … Je pensais rien. Je pensais pas que … Que ça ferait … Ça … »
Craquement dans la mer, la barque se brise dans l’océan et on essaie de grimper sur notre mat de paille.
« Parce que t’étais là. » Je respire fort. « Tous les jours de ma vie, t’étais là. Cachée dans mes souvenirs, t’étais là. T’étais là, dans chaque bleu qu'on me faisait et que je prenais en me marrant parce que ça ferait une galaxie et que je pourrais sourire un peu en la voyant. Ta voix était là, quand je me disais que quelqu'un me détestait, j'entendais ton "je te déteste" en fond. Partout où j’allais alors … D’une certaine façon … »
La falaise se brise dans un grondement sourd. Une gigantesque vague se profile vers nous. Je sais pas si ça lui va, comme explication. Certainement qu’elle n’attendait pas ça. Je me demande si elle attendait quoique ce soit.
J’attendais pas spécialement de pardons. Mais je refusais qu’elle vive avec la certitude que je la détestais.
Je te déteste pas, Nova-Blue.
C’était ça, mon problème.
J’étais incapable de la détester autant qu’elle me détesterait.
« Ce serait mentir de dire que tu m’as manqué. Parce que t’étais toujours avec moi. »